mardi 3 mai 2011
La mort de Ben Laden
La nouvelle de la mort d'Oussama Ben Laden me pousse à sortir d'un long mutisme. Cette opération américaine pose en effet plus de questions qu'elle n'offre de réponses, et ce nouvel événement historique, qui intervient presque 10 ans après les attentats du 11 septembre, semble marquer la fin de la "guerre contre le terrorisme" (war on terror) lancée par George W. Bush.
Mais qu'est-ce qui est "fini"?
Ce que cette annonce faite par Barack Obama montre, c'est bien la volonté de tourner une page. A ce titre la mort du leader d'Al Qaida signifie un changement dans la politique étrangère américaine: un désengagement progressif d'Afghanistan, voir peut-être une politique semi-isolationniste dictée par des impératifs économiques. L'annonce tombe à pic pour Obama, dont elle va certainement redorer le blason (il avait promis la mort de Ben Laden lors de sa campagne en 2008), tout en coupant l'herbe sous le pied des Républicains, toujours prompts à prêcher l'interventionnisme.
Il faut se rappeler que cette "guerre" est restée essentiellement une vue de l'esprit. La lutte contre le terrorisme est demeurée le terrain des agences de renseignement bien plus que celui des régiments de marines. Les conflits armés en Irak et en Afghanistan ont très rapidement perdu les liens qu'ils pouvaient avoir avec la traque d'Al Qaida.
Tuer Ben Laden, c'est donc tuer la vision d'un conflit, la vision d'un monde frôlant le choc de civilisations permanent, voir la vision du musulman comme un dangereux extrémiste. Coïncidence: les révolutions arabes, notamment en Tunisie et en Lybie, nous présentent la vision alternative d'un monde musulman aspirant à la démocratie. L'affirmation d'Obama que Ben Laden "n'était pas un leader musulman", si elle est séduisante, ressemble fort à une réécriture de l'histoire telle qu'on nous l'a présentée pendant presque dix ans.
Al Qaida donc, demeure, mais perdra sa place au coeur du ballet médiatique. Peut-être quelques gros titres encore, avant d'être supplanté par un autre "danger immédiat", ou bien par l'économie.
Comme d'ordinaire, les théories conspirationnistes ne manquent pas, et comme d'habitude elles se trompent de question. Il ne s'agit pas de se demander si Ben Laden est bien mort, mais bien pourquoi est-il mort maintenant. Officiellement, le leader d'Al Qaïda a été retrouvé grâce à des informations extraites sous la torture à Guantanamo ayant permis -après plusieurs années- de le retrouver et de l'abattre.
Après toutes ces années, il s'avère donc que l'homme le plus recherché de la planète n'était qu'à une petite dizaine de la capitale d'un pays -en principe- allié des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme, confortablement installé dans une large habitation à quelques pas de bases militaires pakistanaises.
Les liens entre Al Qaïda et les services de renseignement pakistanais ont toujours été troubles, et soulignés par d'ex-agents de la CIA, notamment Robert Baer. L'ISI (Inter-Services Intelligence) a toujours été soupçonnée d'être trop proche des islamistes, et travaillant plus souvent avec les terroristes que contre eux. Non seulement il est possible de penser que des membres de l'ISI avait connaissance de la cachette de Ben Laden, mais certaines informations présentes dans les journaux laissent à penser que les Américains ne se sont que très partiellement appuyés sur les autorités pakistanaises pour l'opération, de crainte sans doute que la cible ne soit évacuée à la suite d'une fuite. Le New York Times comme Le Monde précisent bien que le Pakistan n'était pas informé de l'opération et qu'un hélicoptère a été sabordé "pour ne pas tomber en mains ennemies". Par "mains ennemies" doit-on comprendre "l'armée pakistanaise"?
L'opération survient à un moment où les relations entre le Pakistan et les Etats-Unis sont particulièrement mauvaises, entre autres à cause d'une certaine complicité entre autorités pakistanaises et islamistes. Pourtant, cette complicité n'est pas nouvelle, et le Pakistan a toujours été avancé comme la cachette la plus probable de Ben Laden. Ce n'est pas donc pas dans une cachette improbable qu'il a finalement été retrouvé, mais bien au premier endroit où des gens bien informés l'auraient cherché, dans une habitation qui ressemble fort à une résidence surveillée. La encore, que Ben Laden ait "déclaré la guerre au Pakistan" (dixit Obama) paraît curieux, ou sous-entend une sérieuse incapacité du Pakistan à trouver les criminels les plus dangereux sur son propre territoire.
Ce qui est difficile à croire donc, dans cette opération, n'est pas la mort de Ben Laden, mais bien que son repérage ait pris autant de temps. Soit la puissance et l'influence américaine sont largement surestimées dans la conscience collective, soit sa mort n'est devenue une priorité que très récemment.
Ce qui est certain c'est que le rôle géopolitique que Ben Laden avait à jouer était devenu obsolète, et qu'il était un "témoin gênant" du fait de sa proximité avec les milieux du renseignement, que ce soit par son ancienne affiliation à la CIA ou ses ses amitiés au sein de l'ISI. Cette fin opportune réjouira tout le monde, mais ne manquera pas de poser certaines questions.
The New York Times: Bin Laden Is Dead, Obama Says
The New York Times: 4 Questions He Leaves Behind
Le Monde: Les questions en suspens autour de la mort de Ben Laden
Le Monde: La mort de Ben Laden, un défi pour les républicains
The Guardian: Osama bin Laden is dead, Obama announces
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