lundi 29 décembre 2008

2009, ou la remise à zéro de l'Histoire

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La fin de l'année approche à grand pas, et entre deux festins il convient comme toujours de faire le bilan de l'année écoulée, de considérer les erreurs commises et de se fixer des objectifs (résolutions) pour les prochains 365 jours. Il en est de même en Histoire, et l'année 2009 s'y prête à merveille.

Le 21ème siècle a commencé sur une note de triomphalisme américain, une apparente victoire du libéralisme économique et politique contre tous ses adversaires, et les prédictions de Fukuyama sur une "fin de l'Histoire", bien que radicalement optimistes, ne sonnaient pas encore complètement faux dans le contexte de début 2001.
Huit ans plus tard, et tout est à revoir. Après les attaques du 11 septembre les néo-conservateurs de l'administration Bush ont fait du terrorisme le nouvel ennemi à abattre et les islamistes sont les communistes d'aujourd'hui, un ennemi tant intérieur qu'extérieur pour les démocraties libérales. Une invasion "préventive" de l'Iraq plus tard et le prestige américain acquis à l'effondrement de l'URSS a volé en éclats, et le modèle occidental qu'on a voulu imposer de force au Moyen-Orient est apparu d'autant plus vulnérable, de telle sorte que Fukuyama a du renier les néo-conservateurs qui l'avaient porté aux nues. La crise économique de 2008 a achevé de sceller le sort de tout triomphalisme hâtif, montrant les limites d'une croissance basée sur l'endettement, la spéculation, et la confiance abusée. La mort toute récente de Samuel Huntington enfin, qui prédisait lui une division de l'humanité par les divisions culturelles (Le choc des civilisations), nous rappelle que l'économie a encore une importance toute relative quand on considère l'avenir du monde.

Avec l'élection d'Obama comme leader de la première puissance mondiale, une page paraît se tourner. En fait, c'est plutôt un recommencement. Certes, l'Occident a retrouvé une mesure de confiance envers les principes universels de l'idéologie américaine mais les années à venir de l'administration Obama seront aussi celles de la fin de la suprématie américaine et de l'émergence définitive de nouvelles puissances. Ce sera la résurgence du paradigme idéologique qu'on a cru enterré en 1991, la remise en question de la démocratie libérale par des idées qui, il faut bien l'avouer, ne sont jamais qu'une redécouverte du marxisme. En Asie ou en Amérique du Sud, le collectivisme sera sans doute préféré à l'individualisme acharné que l'on cherche encore à nous vendre en Europe. La prédominance mondiale de l'économie comme régulatrice des rapports sociaux ne sera pas, et ne sera sans doute jamais. Henry Kissinger dans le prestigieux The Economist, parle de la "fin de l'hubris" et annonce un pragmatisme forcé, un nouvel équilibre entre réalisme et idéalisme, entre la nécessité de la gestion étatique et l'utopie libérale. La "fin de l'hubris", c'est finalement la remise à sa place du capitalisme. Les conséquences en sont déjà prévisibles: renforcement de l'alter-mondialisme, une crédibilité accrue pour les critiques en tous genres du système établi, et peut-être même un peu d'originalité américaine.

Car est-ce vraiment Obama que l'on attend? Certes, il représente à lui tout seul un changement radical de voie pour les américains, mais est-ce vraiment pour cela que le monde le plébiscite?
Plus encore qu'une administration Démocrate digne de ce nom, c'est une reformulation des principes américains que l'on attend, une revitalisation d'une idéologie qui a, somme toute, échouée.
Car 1991 a peut-être vu l'échec d'une certaine forme de communisme totalitaire, mais 2008 ressemble fort à l'échec d'un certain libéralisme. Ainsi la roue tourne, et l'Histoire continue avec elle, remise à zéro l'espace d'un instant dans les bulles d'une coupe de champagne.

dimanche 28 décembre 2008

Les thèses de Chomsky en France

Dans la continuité des notes précédentes, il est à noter que les thèses de Chomsky sont largement reprises en France par quelques intellectuels fréquemment décriés, notamment Serge Halimi du Monde Diplomatique. Dans Les nouveaux chiens de garde, Halimi s'est notamment intéressé aux rapports entre les médias et le pouvoir en France.

samedi 20 décembre 2008

Chomsky & compagnie: la fabrique du consentement

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Un nouveau film-documentaire sur Chomsky va bientôt voir le jour. Ce film, intitulé "Chomsky & compagnie" porte comme d'autres avant lui sur la "fabrique du consentement".

La fabrique du consentement qu'est-ce que c'est? Il s'agit grosso modo des techniques de manipulation de masse utilisées par les gouvernements pour contrôler la population. Chomsky s'appuie pour ses analyses sur l'un des aspects des théories de Marx, qui décrivait toute société comme contrôlée par une élite qui avait intérêt à étouffer toute rébellion ou prise de pouvoir par la majorité. En d'autres termes, à travers l'histoire, toutes les sociétés, de l'Empire romain jusqu'à la République Française, sont dirigées par une minorité qui use de procédés bien établis pour conserver le pouvoir. De nos jours, ce contrôle de la pensée est exercé non pas par l'armée ou la police (comme dans les dictatures) mais par les médias et les écoles.

Cela pourrait ressembler à une théorie conspirationniste, mais nous en sommes loin. "La fabrique du consentement", ce sont les concensus et les idées reçues généralement admises par une population donnée. Il ne s'agit pas simplement de préjugés, mais bien d'idées généralement admises et jugées moralement acceptables par la majorité, autrement dit de l'évolution globale des mentalités dans un pays.

Un exemple probant pourrait être la perception des grévistes aux Etats-Unis ou en France. Durant la majeure partie du 2Oème siècle la grève a été largement décriée aux Etats-Unis pour des raisons idéologiques, et des massacres ont parfois eu lieu lorsque les syndicats ne cédaient par à la pression du gouvernement. La façon dont les grèves étaient (et sont) présentées dans la presse a eu tendance à montrer les grévistes comme fainéants ou trop exigeants.
Aujourd'hui la tendance est la même en France qu'aux Etats-Unis: les grèves sont désormais vues comme des "prises d'otages", et le service minimum est plébiscité par une majorité de français. Ce revirement de l'opinion s'explique entre autres par la manière dont les médias traitent l'actualité.
Lorsque le pouvoir parvient à transmettre un point de vue spécifique par l'intermédiaire des médias, c'est une fabrique du consentement.

De tels points de vue sont très difficiles à reconnaître, mais nous sommes chaque jour soumis à un ensemble d'informations dont nous remettons rarement en cause la nature. "La crise va nécessiter des sacrifices", "les fonctionnaires sont des fainéants", "le matériel occidental est de meilleur qualité que le matériel chinois", "l'avortement est une liberté pour les femmes", sont quelques exemples (au hasard) de points de vue typiquement français mais non partagés par les habitants d'autres pays, et qui méritent discussion. A bien y regarder, les informations elles-mêmes sont parfois sujettes à interprétation.

Ce qui est surtout colporté par les médias aujourd'hui, c'est un sentiment d'impuissance pour le citoyen lambda, qui croit son pouvoir ou son avis négligeable face à l'appareil politique. La population renonce donc largement à gérer son pays, et s'en remet intégralement aux élus, même si elle ne leur fait pas pleinement confiance quant à leur intégrité et leur efficacité. La démocratie s'en trouve donc affaiblie, et les élections perdent de leur poids, devenant largement symboliques.

Voir la fiche AlloCine

Voici une courte vidéo présentant la Fabrique du Consentement:

mardi 16 décembre 2008

Le retour de Marx

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"Marx contre-attaque". Non ce n'est pas le dernier film de science-fiction, mais bien le titre d'un article du dernier Monde Diplomatique sur la déroute du néolibéralisme économique.
La crise est une opportunité facile pour les gauchistes de tous poils de décréter le retour en force de leur maître à penser. Mais Marx est-il jamais vraiment parti? En dépit des efforts des néolibéraux pour imposer l'idée que ses thèses sont obsolètes, il demeurera l'un des penseurs les plus influents du 21ème siècle, comme il l'a été au 20ème.

Car Marx avant toute chose est méconnu, stigmatisé, caricaturé. On a retenu de lui la vision d'un monde où les pauvres et les riches s'opposent dans une lutte des classes permanente, une hiérarchie imposée où les oppressés sont destinés à renverser leurs oppresseurs et à instaurer une société véritablement égalitaire, solidaire, communiste. Mais loin d'être le coeur de sa pensée, la critique du capitalisme en était plutôt l'aboutissement.

Bien avant le Capital, Marx avait commencé comme philosophe, décrivant l'Homme comme dominé par ses conditions d'existence, sa pensée prisonnière de son époque et de la société dans laquelle il évolue. Ce matérialisme (dans le sens de l'influence du matériel sur l'esprit) rend les théories politiques ou économiques secondaires, car celles-ci ne sont que l'expression de visions différentes du monde, et dépendent de la vie de leur auteur. Marx résume ainsi les grands débats d'une société à l'opposition entre des intérêts personnels fort différents, aux rapports de force entre ce qu'on retiendra (à tort peut-être) comme étant des "classes". Mais le matérialisme de Marx va plus loin: il replace les idées et les actions dans un contexte, et crée un concept qu'on pourrait appeler "relativisme historique", dans le sens ou toute idée dépend de son époque historique. Ainsi non seulement les idées dominantes sont généralement celles des élites qui contrôlent le pouvoir à un moment donné (une idée reprise par Chomsky dans son travail sur les médias), mais les principes moraux eux-mêmes dépendent d'une époque et des conditions matérielles. Un déterminisme extrême en fait.

Si tout est relatif, comment peut-on donc construire une réflexion utile? Par la dialectique, répond Marx. La dialectique, une théorie d'Hegel, ou l'idée que des oppositions et des crises naissent de nouvelles idées. Le progrès peut donc naître des contradictions d'une époque et de ses modes de pensée.

On voit comment la pensée de Marx est en fait éloignée des simplifications qu'on a pu en faire. Pour Marx le capitalisme n'était qu'une contradiction de plus dans le sens ou son élévation au rang d'idéologie n'était dans l'intérêt que d'une minorité, et non un progrès social. Ironiquement, Marx passa aussi de nombreuses années à s'opposer aux communistes de son époque, à qui il reprochait un manque de rigueur dans les théories, et voyait d'un oeil sceptique l'égalitarisme forcé ; ce n'est que plus tard qu'il rejoindra l'Internationale, y voyant l'occasion de dépasser les contradictions de son siècle.

La contribution essentielle de Marx à la pensée humaine est donc qu'il faut pouvoir dépasser les intérêts personnels (les siens, mais aussi ceux des autres) pour réfléchir à des théories politiques ou économiques. C'est ici que les néolibéraux répondent que l'Homme, "loup pour l'homme" (1), en est bien incapable. Dans la pensée libérale, l'Homme est "un animal qui tient essentiellement ce qu'il est non du monde humain mais de ses gènes, un calculateur mû par son seul intérêt d'individu -Homo oeconomicus-, avec lequel n'est donc possible qu'une société de propriétaires privés en concurrence 'libre et non faussée'." (2)
Pour enterrer Marx pour de bon, il faudra donc prouver que l'Homme est fondamentalement égoïste, que les défauts de la société sont en fait les siens, et non l'inverse. On l'aura compris, Marx avait foi dans la nature humaine, et c'est finalement cette foi, plus encore que ses théories, que l'on a essayé de faire oublier. On a préféré le diaboliser, l'associer au socialisme de Staline et Mao, aux massacres et à la déshumanisation, ranger sa pensée à coté de celle de Franco ou Machiavel. Si Marx était vivant, il n'en serait certainement pas surpris: sa pensée ne fait pas bon ménage avec le pouvoir.

Alors que retenir du marxisme aujourd'hui? Tout d'abord, que la crise économique ne suffira pas à remettre en cause une vision négative de l'Homme qui a su s'imposer à la majorité, mais au contraire pourrait la renforcer. Ensuite, que le changement ne commence pas par la révolution, mais bien chez soi, devant son miroir. Car pour savoir choisir entre marxisme et néolibéralisme, il faudra savoir si l'on est loup ou agneau.

(1) Thomas Hobbes
(2) Marx contre-attaque, par le philosophe Lucien Sève. Le Monde Diplomatique, décembre 2008. Voir aussi La Richesse des Nations d'Adam Smith.

Et le petit peu de musique...

Lorsque les artistes font de la politique, cela donne rarement des critiques très profondes, mais elles ont toujours le mérite d'être mélodieuses...
Voici pour le petit brin de musique mensuel Pink qui s'attaque à W. Bush:

lundi 15 décembre 2008

Why the presidency is (not) imperial

J'ai eu l'occasion mercredi dernier d'assister à une conférence de George C. Edwards sur la présidence américaine intitulée "Why the presidency is not imperial".

L'argument principal d'Edwards est que le président des Etats-Unis doit composer avec le Congrès et a en général du mal à faire voter ses lois ou mesures, diminuant ainsi son pouvoir.
Certes. Pour autant, en ce qui concerne la politique étrangère, le président continue à voir le Congrès s'en remettre à lui pour la gestion de crise, un pouvoir non négligeable, surtout lorsqu'une crise devient permanente (au hasard, le terrorisme).

A mon sens, ce n'est pas parce qu'un pouvoir est assorti de contraintes qu'il en devient moins réel. Un président américain peut envoyer des troupes n'importe où dans le monde sans l'accord du Congrès dés qu'il en prend la décision. Ce pouvoir à lui seul suffit à rendre la présidence américaine "impériale", puisque seul le dirigeant d'un Empire planétaire peut l'exercer.

Il est cependant toujours utile de comprendre qu'un président est loin d'être tout puissant, et qu'il doit utiliser au mieux les opportunités de l'actualité pour maximiser son pouvoir. Un président peut aussi perdre toute son influence si l'opinion publique et le Congrès l'abandonnent. W. Bush est ainsi devenu un "lame-duck president", qui ne peut qu'attendre son remplaçant. Obama devra donc savoir ruser pour transformer la crise en une opportunité de maximiser son influence.

The "modern liberal (?) agenda" (suite)

Le premier plan de secours des grands constructeurs automobiles américains a finalement été refusé. Ce plan proposait "quelques dizaines" de milliards de dollars en prêts destinés à assurer la survie de General Motors et Chrysler. Un plan refusé par les sénateurs Républicains finalement.
Jusque là, pas de surprise: les Républicains sont idéologiquement supposés être opposés aux plans de sauvetages de l'Etat. Là où la surprise vient, c'est quand on s'aperçoit que les Républicains n'ont pas opposé le plan par conviction, mais pour détruire le syndicalisme américain.
Aux Etats-Unis, le Syndicalisme n'est pas toujours vu d'un bon oeil. Traditionnellement associés au socialisme, voir même à l'anarchisme, les syndicats sont plus rares qu'en Europe, mais aussi proportionnellement plus puissants, car comparables aux lobbies politiques qui ont de l'influence au Congrès. Aux Etats-Unis les grèves sont rares, et dans l'Histoire ont souvent été réprimées par les armes (disons le, il y a eu quelques massacres de grévistes). Les syndicats exercent donc leur influence par l'intermédiaire du parti Démocrate en général, et le soutien est mutuel.
Bien sûr, les syndicats des employés de l'automobile sont assez puissants. L'United Automobile Workers Union (U.A.W.) est donc une cible de choix pour les Républicains, qui ont blâmé le syndicat pour l'échec des négociations sur le plan de sauvetage. Comment? En exigeant des employés de l'automobile qu'ils acceptent des salaires plus bas, et qu'ils perdent certains de leurs avantages en sécurité sociale et retraites. Selon Paul Krugman, un mail aurait circulé chez les Républicains pour signaler là "l'opportunité de tirer le premier coup de feu contre les grands syndicats".

Non, on ne rêve pas. Lorsque l'économie va mal, lorsque la gestion des entreprises par le patronat s'avère désastreuse, les premiers à payer sont... les simples employés. Pour les Républicains, la crise est une opportunité pour effectuer un maximum de changements sociaux aux Etats-Unis. De manière générale, la crise est une aubaine pour les partis de droite (en Europe aussi) pour fusiller la sécurité sociale, les retraites ou les avantages divers et variés de ce qui fut surnommé le "prolétariat". A l'évidence, la lutte des classes n'est pas morte pour tout le monde. Alors... Qui a un agenda au juste?

mardi 9 décembre 2008

The "modern liberal agenda"

Il y a des moments où l'on ne peut pas s'empêcher d'avoir un petit sourire mesquin. Comme lorsque les PDG des "big three", les trois plus grands constructeurs automobiles américains, viennent quémander de l'argent pour se renflouer auprès du gouvernement, mais encore plus lorsqu'un néo-conservateur comme William Kristol se sent obligé de rappeler qu'en principe les conservateurs et les "big business" sont contre l'interventionnisme étatique.
"Le gouvernement n'est pas la solution à notre problème, le gouvernement est le problème", disait Ronald Reagan en 1981. Les conservateurs et les Républicains ont depuis largement continué dans la même veine, et Georges W. Bush n'a pas été le dernier à prétendre vouloir diminuer la taille du gouvernement américain.
A l'heure où Obama a annoncé un ambitieux programme de rénovation des infrastructures de son pays, la droite américaine se trouve désormais face à une impasse car pour sauver les plus grosses entreprises du pays ne reste plus que l'Etat. Derrière les critiques de Kristol, qui parle d'un "agenda" pour la gauche américaine et conseille encore d'attribuer les dollars à la modernisation de l'armée plutôt qu'à la rénovation des écoles *!*, se cache en fait un profond désespoir. Car maintenant que l'économie est en ruines et qu'un président Démocrate est prêt à investir la Maison-Blanche, il ne reste plus qu'à lui faire confiance, en espérant, non sans ironie, que les adversaires politiques d'hier seront maintenant dignes de confiance à la tête du pays.