dimanche 12 septembre 2010

America is NOT at war...

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Enfonçant encore un peu le clou, Barack Obama a à nouveau pris position pour la tolérance religieuse à l'occasion de l'anniversaire de 9/11.

"En tant qu'américains nous ne sommes pas, et ne serons jamais, en guerre contre l'Islam", a déclaré le président.

Une telle prise de position est importante car elle tranche avec la tendance de la droite chrétienne américaine à s'opposer à l'Islam et aux musulmans, aux Etats-Unis et dans le monde. Pour beaucoup, il s'agit de protéger la "tradition" chrétienne des Etats-Unis mais, pour une minorité d'extrémistes, le conflit fondamental entre les chrétiens et les musulmans est le prélude au Jugement Dernier et au retour du Christ.

Cette position tranche aussi avec la tendance de la droite américaine à chercher un ennemi. Au lendemain de la fin de la Guerre Froide, l'ennemi soviétique fut remplacé par l'Irak de Saddam Hussein. Au lendemain du 11 septembre 2001, il fut remplacé par le terrorisme, et tout particulièrement le terrorisme islamique, avant d'être à nouveau supplanté par l'Irak en 2003.

The man who speaks of the enemy is the enemy himself.
Bertolt Brecht

L'image d'un pays en guerre est souvent profitable aux plus fervents nationalistes, qui sont généralement classés "à droite" car proches du parti Républicain, mais dont le patriotisme transcende en fait les divisions politiques traditionnelles (on se souvient que les néo-conservateurs étaient à l'origine des Démocrates). Ce patriotisme excessif donne une mission et une raison d'être à l'exceptionnalisme américain ; accessoirement il donne du travail au Pentagone et au complexe militaro-industriel.

Le fait qu'Obama prenne ses distances avec la rhétorique belligérante des impérialistes est bien sûr rassurant. Pour beaucoup (comme Thomas Friedman le chroniqueur du New York Times), les Etats-Unis n'ont de toutes façons plus les moyens d'exercer leur suprématie au niveau mondial à la suite de la crise économique de 2009.

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Mais il y a toujours, et en particulier dans les périodes économiques difficiles, ceux qui voient dans la haine et le conflit des solutions -ou des exutoires- aux difficultés nationales.
Stigmatiser les différentes, souligner l'altérité (l'autre), diviser, attiser les tensions déjà existantes, sont autant de stratégies pour les opportunistes en quête de pouvoir, de publicité ou simplement, d'un but, d'une légitimité impossible à atteindre par d'autres moyens. Aux Etats-Unis et en Europe, les mouvements de la haine s'agitent, menaçant d'infléchir les politiques dans des directions inavouables. Il est plus facile de trouver des boucs émissaires que des solutions aux problèmes économiques.

Les choix d'Obama ne sont pas forcément ceux qui lui rapporteront le plus de voix aux démocrates lors des prochaines élections législatives de mi-mandat. Mais ce sont des choix courageux, qui révèlent un leadership déterminé à ne pas succomber aux facilités des "guerres" contre le voisin, quel qu'il soit, à définir l'identité nationale par la tolérance et le respect et non par l'exclusion et l'individualisme.
On en serait volontiers envieux.



Sources:
The New York Times: On Sept. 11 Anniversary, Rifts Amid Mourning
The New York Times: Is This America?
The New York Times: Superbroke, Superfrugal, Superpower?

samedi 11 septembre 2010

About 9/11...

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A 8h46 le matin du 11 septembre 2001, un Boeing 767 d’American Airlines transportant 92 personnes percute la tour n° 1 du World Trade Center. Peu avant 9h CNN, puis ABC, diffusent les premières images de l’attaque. Les caméras sont donc déjà en place lorsque le second avion percute la tour n° 2 à 9h03. Les images vont rapidement faire le tour du monde et créer un sentiment de panique aux Etats-Unis. Juste avant 10h la première tour s’effondre, suivie une demi-heure environ plus tard par la seconde. Le monde entier assiste ainsi en direct au déroulement de l’attentat le plus meurtrier de l’histoire.

Neuf ans plus tard, l'anniversaire est dominé par deux grandes tendances.

La première est l'islamophobie grandissante des américains, exemplifié par le projet (avorté semble-t-il) d'un pasteur américain de brûler le coran aujourd'hui comme réaction à "l'islamisation" de l'Amérique (et au projet Park51, voir article précédent).
L'impact médiatique de ce projet n'est pas à négliger puisqu'il a pu déclencher des manifestations en Afghanistan, l'indignation des musulmans du monde entier, le choc de cette haine gratuite pour les musulmans américains, et une inquiétude des ministères de la défense ou des affaires étrangères américains.



La seconde est le scepticisme croissant quant à la version dite "officielle" sur les attentats puisque plus d’un tiers des américains pense aujourd’hui que les attentats du 11 septembre sont en partie imputables à des officiels américains, et que le but était de permettre aux Etats-Unis de s’impliquer au Moyen-Orient. Environ un américain sur six croit que le World Trade Center s’est effondré à cause d’explosifs et non à cause de l’impact des avions.

Cette popularité des théories conspirationnistes peut s'expliquer en grande partie grâce à l’instrumentalisation de la menace terroriste par l’administration Bush, instrumentalisation qui, comme l’illustre le mouvement des Tea Parties, aura durablement affaibli la relation de confiance entre les américains et leurs politiciens.

Cependant, la façon de présenter les faits des documentaires et analyses disponibles sur internet demeure troublante. La faute en incombe essentiellement aux lacunes du rapport officiel de la commission Kean-Hamilton, qui laisse inexpliqués certains éléments, et au refus des autorités de donner carte blanche à des commissions indépendantes, tel que réclamé par certaines familles de victimes. Ces lacunes, ainsi que les images, font qu'il est parfois difficile de croire qu'une poignée de fanatiques armés de cutters aient pu ainsi provoquer l'effondrement soudain de deux tours de plus de 400 mètres de hauteur.

Ce "script improbable" du 11 septembre (1), ne doit cependant pas pousser à chercher à tout prix des explications aux moindres détails. Pour Noam Chomsky, les preuves d'une implication gouvernementale dans les attentats sont "sans valeur" (worthless) et aucun spécialiste ne s'est risqué à décrire le "911 Truth Movement" comme autre chose qu'un ensemble d'illuminés poussés par des éléments uniquement circonstanciels.

Mais certaines questions ont la vie dure, surtout lorsque des troublions aussi disparates que Michael Moore, Marion Cotillard ou Mahmoud Ahmadinejad les posent. La popularité des documentaires diffusés sur internet ne se dément pas, avec des arguments et des qualités variables. Ce que cette popularité nous apprend, c'est bien la désillusion d'une vaste majorité de la population quant à l'humanité de nos dirigeants et une défiance envers le pouvoir.


Sources:
(1) Expression issue de "Qui a détourné le 11 septembre?" par le professeur Divina Frau-Meigs, enseignante à l'Université de la Sorbonne
Rue89: Le vrai et tous les faux complots du 11 Septembre
Le Monde: Les Etats-Unis n'en ont pas fini avec le 11-Septembre
Le Monde: Les Etats-Unis et le nouvel ennemi intérieur
The New York Times: A Lesson From 9/11
The New York Times: Building on Faith

Loose Change: documentaire amateur de Dylan Avery. L'un des plus populaires, mais aussi l'un des plus controversés et sans doute le moins crédible.


9/11 - Le Mythe et la Réalité, par David Ray Griffin. Professeur retraité de théologie, Griffin a l'avantage d'être un conférencier expérimenté et de tenter une approche plus scientifique, notamment en commençant par aborder l'instrumentalisation des attentats par l'administration Bush. Les éléments qu'il utilise sont presque exclusivement issus d'articles de journaux reconnus ou de documents officiels, ce qui rend ses conclusions plus difficiles à réfuter.


9/11 Mysteries par Sofia Shafquat. Un résumé des questions les plus fréquentes sur 9/11, mais saupoudré de témoignages peu probants et d'analyses peu concluantes. La présentation peu paraître convaincante, mais le documentaire a été sévèrement critiqué par d'autres membres du mouvement pour la vérité.

911 Mysteries - stfr
envoyé par pillulerouge. - L'info internationale vidéo.

"Clash of Civlizations": le retour

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Le "choc des civilisations" est cette célébrissime thèse de Samuel P. Huntington le politologue de Harvard. Huntington théorisa en 1992 que l'opposition idéologique de la Guerre Froide terminée, le monde retournerait à des conflits de nature culturelle, et tout particulièrement le conflit entre la civilisation occidentale et les pays musulmans d'Afrique et du Moyen-Orient.

La thèse d'Huntington acquit une seconde vie en 2001 avec les attentats du 11 septembre. Pour beaucoup depuis lors, le 21ème siècle doit être marqué par une opposition radicale entre occidentaux et islamistes.

Depuis l'élection d'Obama en 2008 ce fameux "choc" semble globalement avoir été évité. L'élection d'un président noir, défenseur de la liberté de culte et des minorités, semblait avoir écarté les Etats-Unis d'une trajectoire conflictuelle avec les pays musulmans. Mais l'affaire du projet "Park51", plus connu sous le nom de "ground zero mosque", montre que le choc est peut-être déjà une réalité.

Depuis déjà plusieurs semaines, Obama se débat avec un projet de construction d'un immense centre communautaire islamique à deux pâtés de maisons de "Ground Zero", le site du World Trade Center. Opposé d'abord par le groupe Stop Islamization of America, le projet a provoqué de violentes réactions aux Etats-Unis et montré que la tolérance religieuse n'est pas encore acquise pour tous les américains.

Obama a officiellement défendu le droit des musulmans à construire la mosquée (ce qui ne revient pas forcément à défendre le projet lui-même), mais cette position semble impopulaire auprès d'une majorité des américains selon les sondages effectués. Il a également affirmé qu':
"Il est d'une importance cruciale que la majorité écrasante des Américains demeure fidèle à ce qu'il y a de meilleur en nous : une croyance en la tolérance religieuse, une idée claire de l'identité de nos ennemis"



Plusieurs leaders républicains ont cherché à prendre la tête de l'opposition tels que Sarah Palin, qui a présenté le projet comme un "poignard dans le coeur" pour les familles des victimes des attentats, ou Newt Gingrish pour qui cela équivaut à "peindre une swastika sur le musée de l'holocauste" (à l'évidence, Gingrish confond Swastika et croix gammée). La palme du pire commentaire revient cependant à Dick Morris, un ancien conseiller de Bill Clinton, pour qui ce centre "serait, comme beaucoup de mosquées à travers le pays, un centre de recrutement, d'endoctrinement et d'entraînement pour terroristes". Une vidéo circulant sur internet décrit ce projet comme une "monument à la victoire des terroristes" et une "invitation à la guerre".



Selon le New York Times, les chiffres sont ambigus car même les partisans de la mosquée semblent approuver une certaine distance avec ground zero.
Cette affaire reflète la division des américains entre deux traditions: d'une part la liberté de culte inscrite dans la Constitution, d'autre part la culture protestante des Etats-Unis. Pour certains américains les Etats-Unis sont une "terre chrétienne", pour d'autres ils sont une "terre de liberté".
Dommage que les deux ne soient pas toujours compatibles...

Sources:
The New York Times: Taking Bin Laden's Side
Le Figaro: Un projet de mosquée à Ground Zero divise l'Amérique
Le Monde: A la veille de la commémoration du 11-Septembre, Obama défend la tolérance religieuse
Le Monde: "Davantage d'Américains ont une vue défavorable de l'islam depuis 2002"
Le Monde: Manifestations à New York autour de la mosquée de Ground Zero
The Onion (magazine humoristique): Man Already Knows Everything He Needs To Know About Muslims

Noam Chomsky critiquant la thèse de Huntington:

samedi 4 septembre 2010

Un peu de musique...

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Parfois les émissions de télé réalité ont des dommages collatéraux curieux. Ainsi, une candidate malheureuse à American Idol (une sorte de "nouvelle star") s'est faite la chanteuse attitrée du mouvement "Tea Party" (voir l'article sur le sujet).

Cette mère de trois enfants se présente comme une "épouse, mère, patriote et croyante dévouée" sur son site.

Les paroles:
[Verse one]
Pay no attention to the people in the street
Crying out for accountability
Make a joke of what we believe
Say we don’t matter ’cause you disagree
Pretend you’re kings, sit on your throne
Look down your nose at the peasants below
I’ve got some news, we’re taking names
We’re waiting now for the judgment day

[Chorus]
I am America, one voice, united we stand
I am America, one hope to heal our land

There is still work that must be done
I will not rest until we’ve won

I am America

[Verse Two]
You preach your tolerance, but lecture me
Is there no end to your own hypocrisy
Your god is power, you have no shame
Your only interest is political gain
On LYBIO.net you can find - The Largest community of social networking with text-script-video blogging service. http://www.lybio.net

You hide your eyes and refuse to listen
You play your games and abuse the system
You stuff your pockets while Rome is burning
I’ve got a feeling that the tide is turning

[Chorus]
I am America, one voice, united we stand
I am America, one hope to heal our land

I will not give up on this fight
I will not fade into the light, I am America

[Bridge]
You stuff your pockets while Rome is burning
I’ve got a feeling that the tide is turning

[Chorus]
I am America, one voice, united we stand
I am America, one hope to heal our land

[Chorus]
I am America, one voice, united we stand
I am America, one hope to heal our land

I will not give up on this fight
I will not fade into the night, I am America



Sources:
Le Monde: Les Tea Parties ou les révoltés du county

"We, the people..."

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"Long overdue" cette rapide explication de texte sur le choix du nom du blog et l'ironie qu'il traduit.

"We, the people" sont les trois premiers mots de la Constitution américaine. Pour les américains, ces mots sont le symbole d'une "expérience": la première nation gouvernée par ses citoyens, et l'incarnation d'une idéologie universaliste.
We the People of the United States, in Order to form a more perfect Union, establish Justice, insure domestic Tranquility, provide for the common defence, promote the general Welfare, and secure the Blessings of Liberty to ourselves and our Posterity, do ordain and establish this Constitution for the United States of America.

On oublie facilement, conveniently, que la révolution américaine précède la révolution française par plus de deux décennies. Si la Constitution américaine s'inspire bien de philosophes français (essentiellement Montesquieu -pour la séparation des pouvoirs), elle est donc bien la première révolte populaire destinée à abolir une monarchie et le point de départ d'une démocratisation politique destinée à devenir universelle. Pour les américains, 1776 (1787 pour la Constitution) est synonyme de liberté et d'humanisme puisque pour la première fois dans l'Histoire, les individus vont être considérés "égaux" par un gouvernement.
Rappelons les premiers mots de la déclaration d'indépendance:
We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness.

Cette vision de la "révolution" américaine est au coeur de l'exceptionnalisme américain, les Etats-Unis étant une nation guidée par Dieu, destinée à devenir une nouvelle Jérusalem, "a city upon a hill" observée par tous. Le mythe de la nation "unique", seule capable de répandre la liberté à travers le monde continue encore aujourd'hui pour justifier la suprématie américaine, qu'elle soit économique ou militaire.

Derrière le mythe cependant, une réalité historique quelque peu différente...

Tout d'abord le mythe de la "révolution". Si les impôts exigés par la couronne britannique, tels que le Stamp Act de 1765 ou le Tea Act de 1773, sont effectivement très impopulaires dans les colonies américaines, ils ne suffisent pas par eux-mêmes à déclencher un mouvement séparatiste. Loin d'être une réaction populaire, le Boston Tea Party de 1773 est une opération bien organisée menée par une minorité. La plupart des colons réclament avant tout d'être représentés au parlement britannique "no taxation without representation", et c'est la réaction de la couronne au mécontentement américain (les Intolerable Acts) qui permet aux extrémistes de plaider avec succès pour l'indépendance. Pour autant, c'est une bien faible partie de la population qui sera prête à prendre les armes et la campagne militaire doit en grande partie son succès aux aides française, espagnole et hollandaise.

Le second aspect du mythe concerne les "pères fondateurs" rédacteurs de la constitution. Cette "assemblée de demi-dieux" selon Thomas Jefferson est loin d'être représentative ou même légitime. Réunie essentiellement par la volonté d'Alexander Hamilton sans pour autant avoir vocation à écrire une nouvelle constitution (il s'agissait en fait de réviser les articles de la confédération), elle est constituée presque exclusivement d'hommes blancs aussi aisés qu'éduqués (George Washington est le plus riche propriétaire terrien du pays), et l'historien marxiste Charles Beard, dans An Economic Interpretation of the Constitution of the United States les accusera d'avoir essentiellement oeuvré à protéger leurs intérêts privés des excès potentiels de la majorité.

Thurgood Marshall, le premier noir à siéger à la cour suprême décrira la constitution comme incomplète à l'origine ("defective from the start") car oubliant tant les noirs que les femmes. De fait, We, the people... n'inclut alors que les propriétaires terriens mâles blancs d'au moins une vingtaine d'années, ce qui exclut une large majorité de la population (moins de la moitié des hommes blancs sont alors autorisés à voter). Il faudra attendre environ 1840 pour que le suffrage universel masculin blanc devienne la norme. Les noirs n'obtiendront le droit de vote qu'après la guerre de sécession, et les femmes en 1920.

Enfin, du point de vue de la philosophie politique, les plus illustres des pères fondateurs ne souhaitent absolument pas instaurer une démocratie. Pour Hamilton notamment le peuple est une "bête sauvage". Dans les Federalist Papers destinés à expliquer la Constitution, Madison et Hamilton expliqueront notamment que les représentants élus sont plus à même de gouverner que le peuple lui-même (1), et que de manière générale la démocratie est dangereuse pour les individus et leur droit à la propriété (2). De manière générale, les deux hommes sans qui la Constitution n'aurait jamais été écrite sont plutôt conservateurs et soulignent l'importance du droit à la propriété dans les conflits humains (3).

Citations du Federalist n°10:
(1) it may well happen that the public voice, pronounced by the representatives of the people, will be more consonant to the public good than if pronounced by the people themselves
(2) democracies have ever been found incompatible with personal security or the rights of property
(3) the most common and durable source of factions has been the various and unequal distribution of property. Those who hold and those who are without property have ever formed distinct interests in society

The mother of all problems (?)

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Et si un même problème se trouvait au coeur de la plupart des problématiques actuelles? S'il était possible de lier certains des plus grands troubles de l'époque, qu'ils soient économiques, politiques ou sociaux?

Plusieurs analyses de la récente crise économique ont souligné que la nature profonde du problème ne se trouvait pas dans les complexités financières, mais tout simplement dans la structure de l'économie et les inégalités croissantes de revenus.

Le phénomène est suffisamment simple pour que n'importe qui, même sans maîtriser le moindre concept économique, puisse comprendre.
Depuis environ un siècle, les pays développés se sont orientés vers ce qu'on a surnommé "la société de consommation", autrement dit, une production accrue de produits non essentiels, supposément traduite par une augmentation du "niveau de vie" ou du "confort individuel".
Cette augmentation de la production a eu deux effets. Le premier a été de nécessiter plus de main d'oeuvre. Le second d'augmenter la quantité de biens matériels à acquérir pour atteindre un niveau de vie dit "satisfaisant".

La quête du profit maximum a cependant empêché que l'augmentation de la production s'accompagne d'une augmentation exactement proportionnelle du pouvoir d'achat. Cette quête du profit, à l'origine des délocalisations ou des baisses de qualité des produits, a été décrite comme partie intégrante (et faiblesse inhérente) du capitalisme par... Karl Marx.

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Or, si le marxisme est un gros mot pour certains, cette théorie s'est avérée complètement fondée depuis déjà de nombreuses décennies. Au moins depuis la fin des "trente glorieuses", la proportion de pouvoir d'achat réel des classes moyennes et défavorisées n'a cessé de baisser. Si cette baisse est demeurée peu remarquée c'est grâce à la banalisation de prêts importants accordés par les banques.

En apparence, l'emprunt participe directement à la croissance. Par cette création monétaire il permet de développer l'économie, d'enrichir tant le créancier que le débiteur.
En pratique cependant, cet enrichissement est hélas illusoire. Pour commencer il maintient artificiellement des coûts élevés pour des produits non essentiels ; autrement dit, il soutient une économie de consommation forcée qui mène au gaspillage ; des ressources considérables sont englouties dans la production de gadgets, d'améliorations superflues, voir de renouvellement de produits déjà largement satisfaisants. En parallèle, les produits véritablement essentiels voient leur valeur augmenter de manière proportionnelle à l'importance des emprunts concédés. C'est bien sûr le mécanisme qui créé les bulles, qu'elles soient (par exemple) dans le secteur immobilier ou alimentaire.
Plus grave encore est la façon perverse dont l'endettement appauvrit le débiteur. Supposé permettre la consommation, l'endettement excessif a en fait pour conséquence d'augmenter les intérêts des emprunts jusqu'à rendre le coût de ceux-ci prohibitifs ; le remboursement devenu plus difficile, le risque de faillite personnelle augmente, en particulier si la sécurité de l'emploi n'est pas garantie. Le créancier devient alors le seul réel bénéficiaire puisque la création monétaire ne lui coûte rien *!* Le débiteur en revanche profite d'une richesse illusoire correspondant à un travail qu'il n'a pas encore fourni.
D'un point de vue économique, on peut dire que cette création monétaire est fausse: puisque le remboursement d'un emprunt se fait sur les salaires à venir, la seule richesse vraiment créée est celle des intérêts, qui revient uniquement au créancier. La croissance économique va alors être soutenue au détriment de la majorité de la population et au bénéfice des banques.

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Exagération? Non, le phénomène est désormais officiellement reconnu. Pour beaucoup cependant, ses avantages sont plus importants que ses inconvénients puisque justement l'emprunt (et la création monétaire qui l'accompagne) sont les moteurs de la croissance, et donc du développement d'une nation. En fait, il s'agit aussi d'une solution par défaut. En dissimulant les inégalités croissantes de revenus, le phénomène permet de sauver la face du capitalisme.

Retour à Marx. Selon Karl, le capitalisme était avant tout une accumulation de capital dans les mains d'une minorité d'industriels, au détriment de leurs employés (les prolétaires). On nous a souvent appris que Marx s'était trompé, puisqu'il avait "loupé" l'émergence des classes moyennes, et donc la réduction des inégalités. Son affirmation que le capitalisme était une entrave au progrès du fait de la concentration des richesses aurait été loin du compte.
Quelques crises financières plus tard, cette affirmation retrouve pourtant sa légitimité: si l'on considère le fonctionnement économique actuel, notre civilisation entière vit largement à crédit, et cet état de fait profite effectivement à une infime minorité. ce sont les individus, les groupes ou les nations les plus défavorisées qui créent la richesse, mais celle-ci va presque exclusivement à leurs créanciers.

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C'est couplé au libéralisme que le phénomène prend une dimension alarmante. Inspiré de l'éthique protestante, celui-ci prône une autonomie complète de chaque individu (voir article précédent). Pour pouvoir garder un niveau de vie élevé, l'individu ne peut donc que s'appuyer sur son travail, et les emprunts que celui-ci lui autorise ; la solidarité n'est plus essentielle au fonctionnement de la société.
En parallèle, la "libéralisation" de l'éducation restreint la mobilité sociale, cependant que la "libéralisation" politique donne toujours plus d'importance aux forces économiques.

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Force est d'admettre que l'inégalité demeure le problème clé de notre époque. Inégalités entre les individus, entre les nations et entre les continents. Le capitalisme, supposé apporter une "égalité d'opportunité" a continué en fait à creuser des inégalités déjà existantes. La description du phénomène va bientôt fêter ses 150 ans, mais celui-ci aura été masqué aux yeux du plus grand nombre par la dimension financière de l'économie.

Le problème est un monstre à deux têtes: la répartition équitable des richesses demeure une utopie, cependant que l'idéologie dominante semble prêcher l'autonomie et le laissez-faire.

Ironiquement, l'appauvrissement des classes moyennes comme des nations sous-développées est attribué par les économistes libéraux à l'Etat, qui freine leur enrichissement par la régulation et l'impôt.

L'Etat n'est pas nécessairement une solution aux problèmes économiques. Sa légitimité tient au fait qu'il incarne la souveraineté populaire. Cette souveraineté peut être exercée autrement, par exemple en exigeant de l'économie qu'elle cherche à réduire les inégalités et non à les creuser. La chose est possible: il "suffit" de réserver la création monétaire aux plus nécessiteux. En d'autres termes, des emprunts à 0% pour les individus et les nations les plus démunies.
[avec, bien sûr, effacement des dettes déjà existantes]

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Pour les partisans du matérialisme historique, les idéologies sont le produit des conflits sociaux et non l'inverse ; une idéologie dominante est donc le produit (ou du moins l'instrument) d'une élite dominante.

Si l'économie et la finance sont au service d'une minorité et que le libéralisme (idéologie dominante chez nos politiques) a été perverti pour accentuer le phénomène, force est de reconnaître que nous sommes tous les otages des puissants.

Sources:
The New York Times: How to End the Great Recession

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