samedi 4 septembre 2010

"We, the people..."

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"Long overdue" cette rapide explication de texte sur le choix du nom du blog et l'ironie qu'il traduit.

"We, the people" sont les trois premiers mots de la Constitution américaine. Pour les américains, ces mots sont le symbole d'une "expérience": la première nation gouvernée par ses citoyens, et l'incarnation d'une idéologie universaliste.
We the People of the United States, in Order to form a more perfect Union, establish Justice, insure domestic Tranquility, provide for the common defence, promote the general Welfare, and secure the Blessings of Liberty to ourselves and our Posterity, do ordain and establish this Constitution for the United States of America.

On oublie facilement, conveniently, que la révolution américaine précède la révolution française par plus de deux décennies. Si la Constitution américaine s'inspire bien de philosophes français (essentiellement Montesquieu -pour la séparation des pouvoirs), elle est donc bien la première révolte populaire destinée à abolir une monarchie et le point de départ d'une démocratisation politique destinée à devenir universelle. Pour les américains, 1776 (1787 pour la Constitution) est synonyme de liberté et d'humanisme puisque pour la première fois dans l'Histoire, les individus vont être considérés "égaux" par un gouvernement.
Rappelons les premiers mots de la déclaration d'indépendance:
We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness.

Cette vision de la "révolution" américaine est au coeur de l'exceptionnalisme américain, les Etats-Unis étant une nation guidée par Dieu, destinée à devenir une nouvelle Jérusalem, "a city upon a hill" observée par tous. Le mythe de la nation "unique", seule capable de répandre la liberté à travers le monde continue encore aujourd'hui pour justifier la suprématie américaine, qu'elle soit économique ou militaire.

Derrière le mythe cependant, une réalité historique quelque peu différente...

Tout d'abord le mythe de la "révolution". Si les impôts exigés par la couronne britannique, tels que le Stamp Act de 1765 ou le Tea Act de 1773, sont effectivement très impopulaires dans les colonies américaines, ils ne suffisent pas par eux-mêmes à déclencher un mouvement séparatiste. Loin d'être une réaction populaire, le Boston Tea Party de 1773 est une opération bien organisée menée par une minorité. La plupart des colons réclament avant tout d'être représentés au parlement britannique "no taxation without representation", et c'est la réaction de la couronne au mécontentement américain (les Intolerable Acts) qui permet aux extrémistes de plaider avec succès pour l'indépendance. Pour autant, c'est une bien faible partie de la population qui sera prête à prendre les armes et la campagne militaire doit en grande partie son succès aux aides française, espagnole et hollandaise.

Le second aspect du mythe concerne les "pères fondateurs" rédacteurs de la constitution. Cette "assemblée de demi-dieux" selon Thomas Jefferson est loin d'être représentative ou même légitime. Réunie essentiellement par la volonté d'Alexander Hamilton sans pour autant avoir vocation à écrire une nouvelle constitution (il s'agissait en fait de réviser les articles de la confédération), elle est constituée presque exclusivement d'hommes blancs aussi aisés qu'éduqués (George Washington est le plus riche propriétaire terrien du pays), et l'historien marxiste Charles Beard, dans An Economic Interpretation of the Constitution of the United States les accusera d'avoir essentiellement oeuvré à protéger leurs intérêts privés des excès potentiels de la majorité.

Thurgood Marshall, le premier noir à siéger à la cour suprême décrira la constitution comme incomplète à l'origine ("defective from the start") car oubliant tant les noirs que les femmes. De fait, We, the people... n'inclut alors que les propriétaires terriens mâles blancs d'au moins une vingtaine d'années, ce qui exclut une large majorité de la population (moins de la moitié des hommes blancs sont alors autorisés à voter). Il faudra attendre environ 1840 pour que le suffrage universel masculin blanc devienne la norme. Les noirs n'obtiendront le droit de vote qu'après la guerre de sécession, et les femmes en 1920.

Enfin, du point de vue de la philosophie politique, les plus illustres des pères fondateurs ne souhaitent absolument pas instaurer une démocratie. Pour Hamilton notamment le peuple est une "bête sauvage". Dans les Federalist Papers destinés à expliquer la Constitution, Madison et Hamilton expliqueront notamment que les représentants élus sont plus à même de gouverner que le peuple lui-même (1), et que de manière générale la démocratie est dangereuse pour les individus et leur droit à la propriété (2). De manière générale, les deux hommes sans qui la Constitution n'aurait jamais été écrite sont plutôt conservateurs et soulignent l'importance du droit à la propriété dans les conflits humains (3).

Citations du Federalist n°10:
(1) it may well happen that the public voice, pronounced by the representatives of the people, will be more consonant to the public good than if pronounced by the people themselves
(2) democracies have ever been found incompatible with personal security or the rights of property
(3) the most common and durable source of factions has been the various and unequal distribution of property. Those who hold and those who are without property have ever formed distinct interests in society

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