mardi 16 décembre 2008

Le retour de Marx

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"Marx contre-attaque". Non ce n'est pas le dernier film de science-fiction, mais bien le titre d'un article du dernier Monde Diplomatique sur la déroute du néolibéralisme économique.
La crise est une opportunité facile pour les gauchistes de tous poils de décréter le retour en force de leur maître à penser. Mais Marx est-il jamais vraiment parti? En dépit des efforts des néolibéraux pour imposer l'idée que ses thèses sont obsolètes, il demeurera l'un des penseurs les plus influents du 21ème siècle, comme il l'a été au 20ème.

Car Marx avant toute chose est méconnu, stigmatisé, caricaturé. On a retenu de lui la vision d'un monde où les pauvres et les riches s'opposent dans une lutte des classes permanente, une hiérarchie imposée où les oppressés sont destinés à renverser leurs oppresseurs et à instaurer une société véritablement égalitaire, solidaire, communiste. Mais loin d'être le coeur de sa pensée, la critique du capitalisme en était plutôt l'aboutissement.

Bien avant le Capital, Marx avait commencé comme philosophe, décrivant l'Homme comme dominé par ses conditions d'existence, sa pensée prisonnière de son époque et de la société dans laquelle il évolue. Ce matérialisme (dans le sens de l'influence du matériel sur l'esprit) rend les théories politiques ou économiques secondaires, car celles-ci ne sont que l'expression de visions différentes du monde, et dépendent de la vie de leur auteur. Marx résume ainsi les grands débats d'une société à l'opposition entre des intérêts personnels fort différents, aux rapports de force entre ce qu'on retiendra (à tort peut-être) comme étant des "classes". Mais le matérialisme de Marx va plus loin: il replace les idées et les actions dans un contexte, et crée un concept qu'on pourrait appeler "relativisme historique", dans le sens ou toute idée dépend de son époque historique. Ainsi non seulement les idées dominantes sont généralement celles des élites qui contrôlent le pouvoir à un moment donné (une idée reprise par Chomsky dans son travail sur les médias), mais les principes moraux eux-mêmes dépendent d'une époque et des conditions matérielles. Un déterminisme extrême en fait.

Si tout est relatif, comment peut-on donc construire une réflexion utile? Par la dialectique, répond Marx. La dialectique, une théorie d'Hegel, ou l'idée que des oppositions et des crises naissent de nouvelles idées. Le progrès peut donc naître des contradictions d'une époque et de ses modes de pensée.

On voit comment la pensée de Marx est en fait éloignée des simplifications qu'on a pu en faire. Pour Marx le capitalisme n'était qu'une contradiction de plus dans le sens ou son élévation au rang d'idéologie n'était dans l'intérêt que d'une minorité, et non un progrès social. Ironiquement, Marx passa aussi de nombreuses années à s'opposer aux communistes de son époque, à qui il reprochait un manque de rigueur dans les théories, et voyait d'un oeil sceptique l'égalitarisme forcé ; ce n'est que plus tard qu'il rejoindra l'Internationale, y voyant l'occasion de dépasser les contradictions de son siècle.

La contribution essentielle de Marx à la pensée humaine est donc qu'il faut pouvoir dépasser les intérêts personnels (les siens, mais aussi ceux des autres) pour réfléchir à des théories politiques ou économiques. C'est ici que les néolibéraux répondent que l'Homme, "loup pour l'homme" (1), en est bien incapable. Dans la pensée libérale, l'Homme est "un animal qui tient essentiellement ce qu'il est non du monde humain mais de ses gènes, un calculateur mû par son seul intérêt d'individu -Homo oeconomicus-, avec lequel n'est donc possible qu'une société de propriétaires privés en concurrence 'libre et non faussée'." (2)
Pour enterrer Marx pour de bon, il faudra donc prouver que l'Homme est fondamentalement égoïste, que les défauts de la société sont en fait les siens, et non l'inverse. On l'aura compris, Marx avait foi dans la nature humaine, et c'est finalement cette foi, plus encore que ses théories, que l'on a essayé de faire oublier. On a préféré le diaboliser, l'associer au socialisme de Staline et Mao, aux massacres et à la déshumanisation, ranger sa pensée à coté de celle de Franco ou Machiavel. Si Marx était vivant, il n'en serait certainement pas surpris: sa pensée ne fait pas bon ménage avec le pouvoir.

Alors que retenir du marxisme aujourd'hui? Tout d'abord, que la crise économique ne suffira pas à remettre en cause une vision négative de l'Homme qui a su s'imposer à la majorité, mais au contraire pourrait la renforcer. Ensuite, que le changement ne commence pas par la révolution, mais bien chez soi, devant son miroir. Car pour savoir choisir entre marxisme et néolibéralisme, il faudra savoir si l'on est loup ou agneau.

(1) Thomas Hobbes
(2) Marx contre-attaque, par le philosophe Lucien Sève. Le Monde Diplomatique, décembre 2008. Voir aussi La Richesse des Nations d'Adam Smith.

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