Le dernier d'une longue série de personnages célèbres, Howard Zinn est décédé mercredi dernier, le 27 janvier 2010. Loin de la célébrité d'un Michael Jackson ou de la fascination exercée par J.D. Salinger, Zinn était bien plus proche d'un Claude Lévi-Strauss: un chercheur ayant bouleversé son domaine d'études, oeuvrant sans relâche pour l'ouverture d'esprit et l'humanisme.
Zinn restera connu comme l'auteur de la célèbre "Histoire Populaire des Etats-Unis", une révolution pour les historiens Américains trop souvent habités par la fascination des figures historiques et la caution implicite apportée au "récit" (narrative) dominant.
En écrivant son "Histoire Populaire", Zinn avait en effet prit à contrepied la plupart des historiens en racontant l'histoire des Etats-Unis du point de vue des opprimés, des laissés pour compte, et des victimes en tout genre de l'Histoire. La conquête de l'ouest du point de vue des indiens, la révolution industrielle du point de vue des ouvriers et des syndicalistes, ou encore la Guerre Froide pour l'américain moyen ne sont que quelques chapitres d'un immense ouvrage constamment remis à jour, appuyé par un impressionnant travail de recherche.
Ainsi, puisque le choix de certains événements et l'importance qui leur est accordée signalent inévitablement le parti pris de l'historien, je préfère tenter de dire l'histoire de la découverte de l'Amérique du point de vue des Arawaks, l'histoire de la Constitution du point de vue des esclaves, celle d'Andrew Jackson vue par les Cherokees, la guerre de Sécession par les Irlandais de New-York, celle contre le Mexique par les déserteurs de l'armée de Scott, l'essor industriel à travers le regard d'une jeune femme des ateliers textiles de Lowell, la guerre hispano-américaine à travers celui des Cubains, la conquête des Philippines telle qu'en témoignent les soldats noirs de Luson, l'Âge d'or par les fermiers du Sud, la Première Guerre mondiale par les socialistes et la suivante par les pacifistes, le New Deal par les Noirs de Harlem, l'impérialisme américain de l'après-guerre par les péons d'Amérique latine, etc.
Par le travail de sa vie, Zinn a montré que l'histoire demeure encore et toujours écrite, non seulement par les vainqueurs, mais aussi par les classes dominantes, l'élite et l'intelligentsia, au détriment des classes populaires et des minorités, que le récit historique doit être invariablement pris avec une distance critique, que l'Histoire elle-même est un instrument utilisé pour justifier les politiques du pouvoir et de l'argent et inciter le citoyen lambda à s'en remettre à ses "leaders" plutôt que de chercher à instaurer une société juste.
Tous ces livres d'histoire américaine qui se focalisent sur les Pères Fondateurs et sur les présidents successifs pèsent lourdement sur la capacité d'action du citoyen ordinaire. Ils suggèrent qu'en temps de crise il nous faut chercher un sauveur : les Pères Fondateurs pour la Révolution, Lincoln pour la sortie de l'esclavage, Roosevelt pour la Grande Dépression, Carter pour la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate. En revanche, entre les crises, tout va pour le mieux et il faut nous contenter du retour à la normale.
Lieutenant dans l'Air Force, Zinn participa à la seconde guerre mondiale par conviction anti-fasciste. Mais il fut marqué par le bombardement inutile de Royan en avril 1945 sur des militaires allemands en déroute et des civils français. A son retour aux Etats-Unis il consacra toute sa vie et son oeuvre au pacifisme et à la tolérance.
Historien et professeur engagé, ouvertement marxiste voir anarchiste, Zinn participa au mouvement des droits civiques, n'hésitant pas à mettre sa carrière en jeu pour la défense de l'égalité raciale. Il s'engagea en profondeur contre la guerre du Vietnam, négociant la libération d'aviateurs américains avec les vietcongs ou encore comme témoin de la défense au procès de Daniel Ellsberg, qui avait révélé les fameux Pentagon Papers. Il s'opposa pareillement à l'attaque et à l'invasion de l'Irak en 2003. Durant toute sa vie il dénonça sans relâche l'expansionnisme américain et fut proche, intellectuellement surtout mais aussi parfois personnellement, de Noam Chomsky, allant jusqu'à définir l'idéologie américaine dans "Nous, le peuple des Etats-Unis... " comme un mélange d'impérialisme, d'individualisme et d'indifférence à la souffrance humaine. Dans son autobiographie "You can't be neutral on a moving train", publiée en 1994, il retraça le parcours d'un homme déterminé à lutter pour ses semblables.
Zinn restera comme l'un des plus grands historiens dits "sociaux". Son "Histoire Populaire" a été vendue à plus d'un 1.7 million d'exemplaires, et reste un ouvrage recommandé pour tous les étudiants de l'histoire américaine. Plus qu'un professionnel cependant, il est aussi un modèle pour tous ceux qui, par leur recherche, cherchent à faire avancer la cause de l'humanisme. Son immense oeuvre lui survivra.
Un hommage de Bob Herbert (The New York Times): A Radical Treasure
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