mercredi 7 novembre 2012

Four more years

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La réélection de Barack Obama a finalement été annoncée par ce tweet dans la nuit de mardi à mercredi. Cette réélection aura été décrite comme extrêmement serrée, reposant sur quelques états clés, notamment l'Ohio. Tous les partisans d'Obama auront retenu leur souffle en observant les cartes des États-Unis cette nuit. Pourtant, derrière le suspense se cache une évolution inéluctable du pays vers le camp Démocrate.

La première raison, et la plus mise en avant aujourd'hui, est la radicalisation du paysage politique américain, et tout particulièrement du camp Républicain. Le Monde titre d'ailleurs aujourd'hui: "L'extrémisme des partisans de Mitt Romney a précipité son échec". De fait, Mitt Romney n'a obtenu sa nomination comme candidat Républicain que grâce à une radicalisation de ses positions, fort éloignée de ce qui semblait être ses idées lorsqu'il était gouverneur. C'est qu'il lui a fallu obtenir le soutien de la frange la plus extrême du "Grand Old Party", notamment les membres du "Tea Party" et les fondamentalistes religieux, qui n'ont pas manqué de se faire entendre dans la campagne. Le rejet violent des politiques économiques d'Obama a sans doute fini par coûter cher à Romney. D'une part, parce qu'un tel rejet était paradoxal de la part d'un précurseur dans le domaine de la couverture santé universelle, d'autre part, parce que fustiger le gouvernement en temps de crise (qu'elle soit économique ou environnementale) a ses limites. Les débats sur le rôle du gouvernement auraient pu permettre à Romney de se poser en nouveau Reagan, mais l'extrémisme religieux et social des Républicains l'ont rendu vulnérable à certaines attaques, en particulier de la part des défendeurs des droits des femmes. En résumé, on peut dire que le centrisme modéré d'Obama avait quand même plus de chances de plaire, ne serait-ce que pour la constance du candidat ou la continuité au niveau du gouvernement. Romney avait la tâche difficile de proposer une alternative aux politiques d'Obama, tout en étant rassurant pour les Américains modérés ; il n'aura finalement convaincu sur aucun des deux plans.

La seconde raison est moins mise en avant, car les Américains eux-mêmes n'ont pas toujours envie de se confronter à cette réalité, est de nature démographique. Pour résumer, l'élection présidentielle de 2012 est l'une des dernières où l'Amérique WASP a encore un poids significatif. Mais ce poids diminue rapidement. En 1996, l'Amérique blanche représentait encore 83% de la population. Elle représente aujourd'hui quelques 72% - peut-être moins.
C'est ici que l'on prend en compte la pleine mesure de certaines politiques électorales Républicaines: dans un état clé comme la Floride, au moins 1 électeur noir sur 5 n'a pas la possibilité de voter - entre autres à cause de lois visant à empêcher toute personne ayant déjà été condamnée pour un crime de s'exprimer dans les urnes. Lorsqu'on sait que les noirs votent à plus de 90% pour Obama et que la Floride est partagée à 50/50 entre Obama et Romney, l'on comprend mieux l'enjeu politique des lois électorales. Dans tous les états où les Républicains sont au pouvoir, ils cherchent à limiter le vote de franges de la population favorables aux Démocrates: noirs, latinos, immigrants (en situation légale ou illégale), étudiants... etc. Mais de telles tactiques ne font que retarder l'inéluctable, car non seulement les minorités sont en train de devenir la majorité, non seulement les étudiants sont appelés à devenir des adultes capables de se défendre, mais ce sont aussi les villes qui votent massivement Démocrate. Les chiffres sont sans appel: dans un état clé comme l'Ohio, les villes (Cleveland, Cincinnati, Colombus, Dayton) ont voté Obama, tandis que les campagnes ont voté Romney. Sur une carte, le rouge des Républicains prédomine, mais les chiffres sont favorables à Obama. A l'échelle des États-Unis, ce sont quasiment tous les états du midwest et du sud qui votent Républicain. Mais les états peuplés de l'est et de l'ouest ont considérablement plus de poids. De plus, les états du sud sont la terre d'accueil de millions d'immigrants latinos, qui tôt ou tard y gagneront le pouvoir politique. 2012 était une élection difficile pour les Démocrates, mais le temps et la démographie jouent pour eux. Dés 2020 les Républicains pourraient être en sérieuse difficulté face à un électorat massivement hostile aux politiques traditionnelles de l'élite WASP du pays, et contraints de modérer considérablement leurs discours. Le parti Républicain tel qu'il existe aujourd'hui ne pourra survivre à cette évolution.

La carte électorale de l'Ohio lors de cette élection présidentielle: Image hébergée par servimg.com
Le poids respectif des états dans l'élection présidentielle: Image hébergée par servimg.com

La part grandissante des latinos dans la population américaine: Image hébergée par servimg.com



Enfin, la dernière raison est la plus discutable, mais aussi la plus importante: les États-Unis sont de plus en plus progressistes.
Cela peut sembler paradoxal comme affirmation, à l'heure où les climato-sceptiques comme les évangélistes donnent une image rétrograde des États-Unis en France. Et pourtant, c'est précisément les médias français qui sont ici à blâmer. Car si les Américains nous semblent volontiers extrêmes, voire réactionnaires, c'est précisément parce qu'une minorité très visible tente désespérément d'endiguer l'évolution du pays vers une libéralisation des moeurs. Cette évolution n'est pas inéluctable, car la religion a toujours une place royale au pays du "In God We Trust", mais les états votent progressivement la légalisation du mariage homosexuel, protègent les droits des immigrés, défendent le droit à l'avortement, ou encore débattent de la suppression de la peine de mort, sans parler de la dépénalisation -ou même la légalisation- du cannabis. Au jour d'aujourd'hui, la révolution conservatrice initiée dans les années 80 s'est essoufflée, et ressemble de plus en plus à un combat d'arrière-garde. Le meilleur espoir des conservateurs réside dans un changement à la Cour Suprême susceptible de changer les interprétations de la constitution, mais cet espoir faiblit à chaque élection présidentielle remportée par les Démocrates. Pour certains Américains, 2016 sera la dernière chance du conservatisme pour empêcher les États-Unis de se transformer en Sodome et Gomorrhe. Ensuite, il faudra se confronter à un pays -voire même à un monde- où les couples homosexuels peuvent se marier et adopter des enfants, où les femmes sont libres d'user de la contraception et de l'IVG comme elles l'entendent, où les immigrants, même en situation illégale, ont quasiment les mêmes droits que les "honnêtes" citoyens. Un monde où les noirs et les latinos peuvent espérer devenir président des États-Unis, où la consommation de drogue est légale, où la peine de mort a été supprimée, et où la science a pris le pas sur le dogmatisme religieux et la superstition. Pour les Américains conservateurs, ce futur est un cauchemar, et pour les fondamentalistes, le prélude à l'apocalypse. Mais le propre de l'apocalypse après tout, c'est son inéluctabilité.

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Sources:
Daniel Nasaw, BBC: "What will a white-minority US look like?"
Dan Balz, Washington Post: "Parsing demographics and the 2012 presidential race"
Sylvain Cypel, Le Monde: "L'extrémisme des partisans de Mitt Romney a précipité son échec"
Le Monde: "Cannabis, mariage homosexuel, avortement : les autres scrutins clés"

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