jeudi 5 mars 2009

"Projets de merde"

Ces mots sont ceux du chef de l'Etat pour décrire les réformes de Valérie Pécresse. Rapportés par le Canard Enchaîné, N.Sarkozy aurait déclaré à sa ministre:

Je ne veux plus voir les enseignants, les chercheurs et les étudiants dans la rue ! Fini le projet de décret. Fini aussi la suppression des IUFM. Vous me réglez ça. Vous vous couchez (…) De toute façon, ce n’étaient que des projets de merde.

On n'a guère envie de le contredire sur ce point. Mais d'où viennent vraiment ces idées sur l'autonomie des universités? La réponse semble venir de l'étranger, de l'international même, dans des institutions où certaines thèses économiques prédominent. Ainsi l'Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques (OCDE) recommande-t-elle:

[...] d'élargir l'autonomie des universités au-delà de ce qui a été réalisé en 2007, surtout pour la gestion budgétaire, le recrutement et la rémunération du personnel. Elle prône aussi de nouvelles mesures pour favoriser le financement privé des universités, en augmentant les droits de scolarité mais en proposant en parallèle des prêts étudiants remboursables en fonction du revenu ultérieur.

A première vue le nouveau modèle semble donc bien recommandé à la France de l'extérieur. La crise y joue d'ailleurs un rôle relativement mineur puisque les réformes furent lancées avant celle-ci.

La France va-t-elle donc si mal? C'est là une question difficile tant elle est politisée, et tout début de réponse peut difficilement être objectif. Une chose est sûre cependant: si les performances économiques de la France ou la rentabilité de ses systèmes de solidarité sociales sont discutables, sur le plan humain en revanche elle n'a jamais été autant citée en exemple pour le progressivisme de ses institutions. Ainsi un commentateur du New York Times voit-il en Obama un danger de "francisation" des Etats-Unis (sic) pendant qu'un autre analyse le désastre qu'est le système de santé privé Américain avec des coûts parfois deux fois plus élevés qu'au Canada ou en Europe -pour des frais de moindre qualité.

Y a-t-il donc un "impératif économique" à réformer? La question est encore une fois politique. Bien sûr le système Français semble être un poids économique autant qu'il est un progrès humain. Mais réformer n'est pas démanteler. Le professeur de Sciences Politiques Jean-Paul Fitoussi (IEP de Paris) rappelle ainsi que l'économie n'est pas une science, mais bien un système à part entière avec une éthique propre. La place qu'on lui donne dans une société est donc un acte politique ; à chaque Etat revient la tâche de lui donner une importance plus ou moins grande dans une société. Quant au capitalisme:
Son destin n'est pas écrit dans le marbre. C'est l'interdépendance entre l'Etat de droit et l'activité économique qui a donné au capitalisme son unité. L'autonomie de l'économie est une illusion, comme sa capacité à s'autoréguler.

Mais si tout est politique, pourquoi les Français ne réagissent-ils pas, ne s'opposent pas à de telles transformations de leur pays? Force est d'admettre qu'il y là un consentement tacite de la population, et donc une évolution sociale autant que politique. C'est une vision nouvelle de la relation entre les individus et l'Etat qui est à la base de ces bouleversements sociaux.

Traditionnellement les Français se voyaient autrefois comme membres d'une société envers laquelle ils avaient quelques devoirs (notamment les impôts) en échanges de nombreux droits (par le service public). Au jour d'aujourd'hui une proportion croissante de la population rejette cette idée, préférant n'avoir ni droit ni devoir envers les institutions. Plus d'indépendance pour s'émanciper de la collectivité donc, ou plutôt, plus de liberté individuelle et moins de solidarité sociale. Ainsi, paradoxalement, alors que la France est l'un des pays les plus avancés au monde sur le plan social, ses habitant demeurent insatisfaits au point de cautionner un regain d'individualisme, espérant sans doute y gagner plus de liberté ou de respect à travers la marchandisation croissante de leurs activités.

Pour citer Grégoire Chamayou (doctorant en philosophie) qui cite Nietzsche "nous sommes entrés dans l’ère des marchands". Aucune activité ne saurait donc être épargnée par l'idée de rentabilité, mais aussi de valeur individuelle. Car dans l'ère des marchands chacun est en compétition avec son voisin, et les meilleurs sont (en théorie) récompensés. Même les chercheurs ont ainsi des classements, les médecins qui prescrivent le moins gagnent des primes... etc.

A l'évidence la résistance à cet état de fait est maintenant minime. La vaste majorité de la population l'a accepté comme un changement inéluctable, une évolution logique de la société.
Et les réformes dans tout ça? Finalement peu importe, puisque tout le monde est d'accord elles peuvent donc être des projets de merde.

Sources:
The New York Times: "One France Is Enough", par Roger Cohen. 04/03/09
The New York Times: "Franklin Delano Obama", par Nicholas D. Kristoff. 28/02/09
Le Monde: "La crise économique et l'éthique du capitalisme", par Jean-Paul Fitoussi. 02/03/09
Yahoo actualités: "Les remèdes très libéraux de l'OCDE pour la France". 03/03/09
L'Humanité: "Mobilisation maintenue dans les universités".
Site de la Mutualité Française: "Médecins généralistes : prescrire mieux pour gagner plus". 02/07/08
"Petits conseils aux enseignants-chercheurs qui voudront réussir leur évaluation", par Grégoire Chamayou sur Contretemps (revue en ligne)

2 commentaires:

Chloé a dit…

L'individualisme a gagné du terrain au point d'être majoritaire, certes.
L'opposition politique à ces réformes qui détruisent le service public est pathétique, certes.
Mais ce sera encore pire si on baisse les bras, alors on y va, nous les fonctionnaires "suceurs d'argent des -braves- gens qui créent des richesses (eux)" et on le défend, ce satané service public que tant d'autres pays nous envient!
(On va encore me traiter de communiste mais tant pis, y'en a marre de se faire agresser parce qu'on est fonctionnaire)

Jacob Maillet a dit…

Oui. Rendez-vous le 19 donc.