samedi 2 mai 2009

Fausses abstractions (2)

Nous sommes à l'ère du politiquement correct, ou pour être plus exact, de la responsabilité individuelle. Certes, on reconnaît encore le droit à l'individu de se laisser influencer ou corrompre de l'extérieur, mais globalement, il appartient désormais à chacun de maîtriser pleinement sa vie.

Cela se traduit par un ensemble de petites mesures, ou de petites phrases anodines: "Fumer tue", "Une seconde perdue en station = retard sur toute la ligne", "Au moins 5 fruits et légumes par jour"... etc. On n'y ferait presque plus attention, et pourtant à chaque instant nous voila informés, sollicités, et donc responsabilisés. Nulle femme ne doit ignorer les risques de cancers du sein ou de l'utérus, le fumeur doit savoir qu'il risque sa vie à chaque bouffée, tous doivent manger équilibré pour rester en bonne santé... etc. Et bien sûr cela s'applique aussi à la vie professionnelle (ne faut-il pas savoir se vendre, être zélé et disponible?) ou politique (nul ne saurait ignorer la loi, tous doivent savoir que la Chine est un pays liberticide, ou que des enfants meurent de faim à chaque instant... ). Perdu dans cette jungle, on finit par devoir choisir ses combats.

Dans cette nouvelle ère il faut maintenant assumer non seulement ses choix et ses actes mais aussi ses pensées et ses idées. Quel genre d'homme peut ignorer la faim dans le monde, la souffrance dans les pays "en voie de développement", la pauvreté, le chômage, la crise? A chacun de faire quelque chose, d'avoir "conscience" des problèmes actuels, d'être prêt à lutter, à combattre. Il faut prendre position, voter utile, faire pression sur les politiques. L'individu, au centre du système doit maintenant gérer lui-même la société, prendre conscience de la pleine mesure de ses actes et de ses idées.

Et pourtant, dans le même temps, l'on vit à l'ère de la mondialisation, où les décisions sont prises au niveau national, européen, ou mondial. Prendre conscience, oui, mais à quelle fin? L'impact individuel n'a jamais été aussi limité, et pourtant il appartient à chacun d'être responsable. On ne peut ignorer les fausses abstractions du quotidien. Lorsqu'une épidémie se déclare, chacun doit contribuer à son niveau à la combattre ; pour respecter l'environnement chacun doit faire son geste, recycler, contribuer, penser "vert".

Conséquence du libéralisme, l'individu doit apprendre à s'assumer, mais aussi à assumer son manque de pouvoir. Au coeur du système l'individu, mais sans pour autant remettre en cause le modèle lui-même.

Car l'effet pervers, finalement, c'est de nier la responsabilité des organisations ou des institutions normalement garantes du bien-être de la population. Voila que le chômeur est seul responsable de sa situation, que le malade a ignoré les avertissements, que la qualité de vie au quotidien est l'affaire de tous. Bien sûr, la société ne peut plus se permettre le fardeau de l'inconscience ou de l'irresponsabilité des hommes. Aux hommes d'être plus adultes après tout.

Puisque c'est aux hommes d'êtres adultes, voila les politiques et les entreprises dédouanées de tout soupçon. Ce n'est pas aux fabricants de cigarettes de limiter les additifs dangereux, ni aux entreprises de fabriquer des produits de qualité, ni aux politiciens de mener des politiques responsables. Non, c'est bien aux individus de savoir faire les bons choix.

Dorénavant, lorsque le système va mal, il ne faut plus pointer du doigt ou accuser, mais se demander ce qu'on peut faire soi-même. "Ne demandez pas ce que le gouvernement peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour le gouvernement", disait Kennedy. Mais Reagan a complété par "Le gouvernement n'est pas la solution, le gouvernement est le problème". Dans une démocratie véritablement libérale, l'état n'a plus la responsabilité du quotidien des citoyens, mais ce sont les citoyens qui sont responsables du quotidien de l'état.

Dorénavant, lorsque le système va mal, il ne s'agit pas de le remettre en question, mais d'être résigner à y voir une fatalité. Chacun n'est-il pas libre? Dans ce meilleur des mondes possibles, on ne peut plus exiger l'impossible de nos gouvernements.

Chacun doit être intelligent, responsable, adulte, dans l'intérêt de tous. Une belle idée oui, mais dans ce cas, si vous ne l'êtes pas, personne ne viendra vous aider. Que voulez-vous, c'est le monde moderne! Vous ne pensez quand même pas qu'on va faire les choses à votre place?

Sources:
Le Monde diplomatique: "Métro, boulot, parano. Tous Coupables", par Mathias Roux. Mai 2009.

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