jeudi 30 avril 2009
The Specter of Success
La grande nouvelle politique du moment aux Etats-Unis ce n'est pas tant la grippe dite "porcine", que le récent retournement de veste du sénateur Arlen Specter, ayant décidé de passer chez les démocrates après une longue carrière de républicain.
Pourquoi est-ce que c'est important? Parce que cette défection risque fort d'empêcher les républicains de mettre en place la moindre obstruction parlementaire au Sénat, connue sous le nom de "filibuster". Le filibuster permet en effet à un parti minoritaire de retarder le passage d'une loi, notamment en prononçant des discours interminables (la technique fut initiée par un discours de plus de 22h) ; mais cette technique est impossible si le parti majoritaire dispose de 60 sièges sur les 100 du Sénat.
En d'autres termes, elle peut donner aux démocrates un pouvoir législatif accru, bienvenu en cette période ou Barack Obama a toujours besoin de plus de soutien du Congrès.
Arlen Specter est un politicien chevronné. A 79 ans, ce sénateur de Pennsylvanie a décidé de changer de parti pour être assuré de sa réélection à son poste lors des prochaines élections d'ici quelques mois. Jugé trop modéré par le parti républicain, il risquait fort de ne pas être le candidat choisi par son parti. La solution: une trahison qui, si elle paraît opportuniste, est aussi symbolique d'une radicalisation idéologique des républicains. Pour Olympia Snowe, une autre républicaine modérée, il s'agit là d'un échec de son parti à garder sa diversité.
De tels retournements de veste ne sont pas rares aux Etats-Unis. On se souvient du sénateur Jeffords quittant aussi les républicains en 2001. Mais ils illustrent toujours la faiblesse d'un parti, que ce soit par son image auprès des électeurs ou par les dissensions internes. Specter a jugé qu'il n'avait plus sa chance au sein des républicains aujourd'hui ; cela veut aussi dire que la Pennsylvanie semble déjà acquise aux démocrates. Au-delà du calcul politique, on se demande si le Grand Old Party peut encore survivre à Obama.
Sources:
The New York Times: "Specter Switches Parties; More Heft for Democrats", par CARL HULSE et ADAM NAGOURNEY
The New York Times: "We Didn’t Have to Lose Arlen Specter", par OLYMPIA SNOWE
The New York Times: "The Amtrak Connection", par GAIL COLLINS
Obama aux cotés de Specter:
dimanche 26 avril 2009
Fausses abstractions
On se dit souvent que les idées sont avant tout des abstractions, et qu'il n'y a guère de raison d'appliquer une morale extérieure à ses croyances personnelles. En d'autres termes, on se veut seul juge de la qualité de sa pensée. La liberté est avant tout individuelle ; toute contrainte sur cette liberté de penser est une oppression aliénatrice qui est le propre des régimes totalitaires.
Aussi séduisant que puisse être ce raisonnement, il trouve hélas ses limites, comme le montrent quelques études de cas.
- Libertés individuelles
On perçoit toujours les libertés individuelles comme des droits, des symboles positifs d'une société évoluée et démocratique. Aux Etats-Unis cependant, une liberté individuelle fondamentale demeure le droit de posséder des armes à feu. Sur le papier, l'autodéfense a de quoi être légitimée ; en France aussi le gouvernement a récemment envoyé des signaux forts pour protéger ce concept de "légitime défense". Dans ce cas la responsabilité du pouvoir de donner la mort est donc placée au niveau individuel ; l'individu devient juge, jury et bourreau. Qui irait défendre le droit de chacun de se défendre contre les criminels, qu'ils soient voleurs, violeurs, ou juste des agresseurs en quête de violence?
Derrière cette liberté pourtant, les dangers ne manquent pas. Si le massacre du lycée Columbine paraît symbolique d'une violence périodique, la réalité est tout autre: chaque année 12,000 personnes sont tuées par balles aux Etats-Unis dont 1,900 mineurs. Et si ce chiffre vous paraît abstrait, essayez d'imaginer ce que serait une pile de 1,900 cadavres d'enfants, du nourrisson à l'adolescent. Si l'on commence à rajouter les 17,000 suicides (dont 800 mineurs), et les quelques 70,000 blessés par balle annuels, le prix d'une telle liberté n'a rien d'une abstraction.
- Conservatisme et patriotisme
La protection de la culture, des traditions et des valeurs d'un pays, sont souvent présentées comme une nécessité absolue. Pour tout en chacun il s'agit de protéger notre pays tel qu'on le connaît des influences ou des menaces extérieures. Ce conservatisme peut se traduire par des mesures sociales diverses: immigration restreinte et/ou choisie, laïcité imposée par la loi, voir la défense d'institutions ou d'organisations à caractère hautement symboliques. Il n'y a pas en apparence de justification digne de ce nom pour imposer la tolérance ou l'ouverture d'esprit: chaque pays a ses traditions, et c'est aux nouveaux arrivants de s'y adapter plutôt que l'inverse. La loi existe aussi pour défendre les valeurs fondamentales d'une nation, tels que les droits de l'homme, de la femme ou de l'enfant. La culture du "politiquement correct" et du "bien-pensant" transforme notre pays en quelque chose que la majorité ne désire pas.
Un tel état d'esprit a des dangers plus évidents, car défendre avec acharnement certaines valeurs, c'est souvent en ignorer d'autres. Si la tolérance est difficile à défendre, c'est qu'elle ne trouve sa légitimité que dans les conséquences de l'intolérance. Le patriotisme aveugle mène à l'incitation à la haine: haine culturelle, religieuse ou raciale. Cette haine ensuite a ses conséquences bien concrètes: insultes, agressions, meurtres. Un peuple patriotique est trop souvent un peuple violent, car l'intérêt national est alors placé au-dessus du respect de l'autre et de la différence.
Et que dire de la défense de l'intérêt national par les autorités? Détentions arbitraires, passages à tabac, et (c'est récent paraît-il) la torture. Défendre un pays justifie-t-il l'électrocution ou la quasi-noyade de suspects? Le droit de protéger certaines valeurs peut ainsi mener à la négation de l'humanité de terroristes potentiels. Lorsque les américains comprirent la réalité de Guantanamo et de la torture le choc fut amer car les risques de débordement évoqués par certains (des anarchistes ou des radicaux, avait-on affirmé!) s'avérèrent être oh combien réels.
- Liberté politique
Ah, la liberté politique, grandeur de nos "démocraties" "libérales" grâce à nos gouvernements représentatifs! Et de se dire que l'on est libre de choisir ses dirigeants, de chercher celui qui défendra nos idées! Voila une liberté assurément essentielle, incontournable. Et si on le souhaite, se désolidariser de la communauté, et demander à chacun de devenir pleinement responsable. Chacun n'a-t-il pas les moyens de s'occuper de lui-même? Pourquoi faudrait-il que certains payent pour d'autres, encore et toujours? La générosité si on le souhaite, voilà le cadeau le plus précieux de nos pays occidentaux.
Le droit d'être individualiste, indifférent aux évolutions de nos sociétés, libre de ne pas contribuer à une solidarité dont profiteront toujours certains parasites, c'est le principe du néo-libéralisme aujourd'hui. Mais de telles politiques aussi ont leurs conséquences. Creusement des inégalités, paupérisation et inculture des masses, déterminisme accentué par la non-mobilité sociale. La liberté politique, c'est parfois la possibilité d'être lâche ou cynique. Car si voter est une responsabilité de citoyen, faire preuve d'empathie ou de solidarité n'est-il pas une responsabilité d'être humain?
La politique a fini par traduire en idées certains penchants volontiers égoïstes de l'individu, par rendre acceptable le cynisme et l'insensibilité ; à l'échelle de nos sociétés c'est finalement réduire les individus à des acteurs autonomes et indépendants les uns des autres. Et dans cette indépendance, détruire toute justification ou raison d'être d'un tissu social digne de ce nom. Indépendant et responsable, l'individu? Alors à quoi bon la communication et l'échange, puisqu'in fine n'existeront plus que des convergences d'intérêt? Dans l'excès de liberté politique on trouve la possibilité de voter la disparition de la politique... Et d'oublier que la liberté de l'individu ne peut remplacer le pouvoir de se gouverner (kratia) du peuple (démos) ; autrement dit, que la démocratie enlève nécessairement une liberté individuelle: la liberté d'être désintéressé.
Fin de la Guerre Froide = ?
La fin de la Guerre Froide par l'effondrement de l'Union Soviétique a, paraît-il, consacré la victoire de la démocratie libérale comme le meilleur système de gouvernement, justifié la relation entre le capitalisme et la liberté de l'Homme, montré l'échec du communisme et même (selon Milton Friedman), celui du socialisme. En somme, le libéralisme a prouvé être le mode de pensée du nouveau millénaire, et permis à l'individu d'être enfin au centre de la société et de recouvrer toutes ces libertés perdues.
Mais si l'individu du futur doit assumer la gestion de la société, sans pouvoir de l'état, sans contrainte sur sa pensée ou ses instincts, sera-t-il encore responsable? Si l'intolérance et l'égoïsme sont des droits, quid des devoirs?
On prétend toujours donner plus de libertés à l'homme, valoriser l'individu plutôt que l'état, l'individu plutôt que le groupe. Mais le propre de l'homme c'est de savoir survivre en étant un animal social. A donner certaines libertés, on oublie un peu vite que toutes ne sont pas bonnes à prendre et que le libéralisme peut être aussi libérateur que destructeur -l'homme n'est-il pas un loup pour l'homme?
Si chacun doit être libre de penser comme il le souhaite, encore faut-il, pour certains, apprendre le pouvoir des idées. Sur le papier, certains principes peuvent apparaître justes et légitimes, et certains droits relever du bon sens commun. Les avantages peuvent paraître immédiats et justifiés, tandis que les inconvénients sont des abstractions, bien loin du quotidien et de son confort personnel. Il n'est guère facile de prendre conscience de ce qu'on cautionne réellement chaque jour, d'assumer la responsabilité non seulement de soi-même, mais aussi d'une société ou chacun s'en contente. Quel individu sera vraiment capable de gérer non seulement sa vie, mais s'assurer qu'il protège l'environnement, qu'il n'exploite aucun enfant du Tiers-Monde, qu'il n'a pas, indirectement, provoqué la souffrance ou la mort de son prochain?
Lorsque certaines idées sont mises en pratique, certaines abstractions vite ignorées se révèlent être soudain des problèmes très concrets, dont souffriront les autres -on espère. Mais il est souvent trop tard quand on mesure l'ampleur du désastre et l'horreur très réelle d'une fausse abstraction.
Sources:
The New York Times: "A Culture Soaked in Blood", par Bob Herbert. 24/04/09
The New York Times: "The Banality of White House Evil", par Frank Rich. 25/04/09
Aussi séduisant que puisse être ce raisonnement, il trouve hélas ses limites, comme le montrent quelques études de cas.
- Libertés individuelles
On perçoit toujours les libertés individuelles comme des droits, des symboles positifs d'une société évoluée et démocratique. Aux Etats-Unis cependant, une liberté individuelle fondamentale demeure le droit de posséder des armes à feu. Sur le papier, l'autodéfense a de quoi être légitimée ; en France aussi le gouvernement a récemment envoyé des signaux forts pour protéger ce concept de "légitime défense". Dans ce cas la responsabilité du pouvoir de donner la mort est donc placée au niveau individuel ; l'individu devient juge, jury et bourreau. Qui irait défendre le droit de chacun de se défendre contre les criminels, qu'ils soient voleurs, violeurs, ou juste des agresseurs en quête de violence?
Derrière cette liberté pourtant, les dangers ne manquent pas. Si le massacre du lycée Columbine paraît symbolique d'une violence périodique, la réalité est tout autre: chaque année 12,000 personnes sont tuées par balles aux Etats-Unis dont 1,900 mineurs. Et si ce chiffre vous paraît abstrait, essayez d'imaginer ce que serait une pile de 1,900 cadavres d'enfants, du nourrisson à l'adolescent. Si l'on commence à rajouter les 17,000 suicides (dont 800 mineurs), et les quelques 70,000 blessés par balle annuels, le prix d'une telle liberté n'a rien d'une abstraction.
- Conservatisme et patriotisme
La protection de la culture, des traditions et des valeurs d'un pays, sont souvent présentées comme une nécessité absolue. Pour tout en chacun il s'agit de protéger notre pays tel qu'on le connaît des influences ou des menaces extérieures. Ce conservatisme peut se traduire par des mesures sociales diverses: immigration restreinte et/ou choisie, laïcité imposée par la loi, voir la défense d'institutions ou d'organisations à caractère hautement symboliques. Il n'y a pas en apparence de justification digne de ce nom pour imposer la tolérance ou l'ouverture d'esprit: chaque pays a ses traditions, et c'est aux nouveaux arrivants de s'y adapter plutôt que l'inverse. La loi existe aussi pour défendre les valeurs fondamentales d'une nation, tels que les droits de l'homme, de la femme ou de l'enfant. La culture du "politiquement correct" et du "bien-pensant" transforme notre pays en quelque chose que la majorité ne désire pas.
Un tel état d'esprit a des dangers plus évidents, car défendre avec acharnement certaines valeurs, c'est souvent en ignorer d'autres. Si la tolérance est difficile à défendre, c'est qu'elle ne trouve sa légitimité que dans les conséquences de l'intolérance. Le patriotisme aveugle mène à l'incitation à la haine: haine culturelle, religieuse ou raciale. Cette haine ensuite a ses conséquences bien concrètes: insultes, agressions, meurtres. Un peuple patriotique est trop souvent un peuple violent, car l'intérêt national est alors placé au-dessus du respect de l'autre et de la différence.
Et que dire de la défense de l'intérêt national par les autorités? Détentions arbitraires, passages à tabac, et (c'est récent paraît-il) la torture. Défendre un pays justifie-t-il l'électrocution ou la quasi-noyade de suspects? Le droit de protéger certaines valeurs peut ainsi mener à la négation de l'humanité de terroristes potentiels. Lorsque les américains comprirent la réalité de Guantanamo et de la torture le choc fut amer car les risques de débordement évoqués par certains (des anarchistes ou des radicaux, avait-on affirmé!) s'avérèrent être oh combien réels.
- Liberté politique
Ah, la liberté politique, grandeur de nos "démocraties" "libérales" grâce à nos gouvernements représentatifs! Et de se dire que l'on est libre de choisir ses dirigeants, de chercher celui qui défendra nos idées! Voila une liberté assurément essentielle, incontournable. Et si on le souhaite, se désolidariser de la communauté, et demander à chacun de devenir pleinement responsable. Chacun n'a-t-il pas les moyens de s'occuper de lui-même? Pourquoi faudrait-il que certains payent pour d'autres, encore et toujours? La générosité si on le souhaite, voilà le cadeau le plus précieux de nos pays occidentaux.
Le droit d'être individualiste, indifférent aux évolutions de nos sociétés, libre de ne pas contribuer à une solidarité dont profiteront toujours certains parasites, c'est le principe du néo-libéralisme aujourd'hui. Mais de telles politiques aussi ont leurs conséquences. Creusement des inégalités, paupérisation et inculture des masses, déterminisme accentué par la non-mobilité sociale. La liberté politique, c'est parfois la possibilité d'être lâche ou cynique. Car si voter est une responsabilité de citoyen, faire preuve d'empathie ou de solidarité n'est-il pas une responsabilité d'être humain?
La politique a fini par traduire en idées certains penchants volontiers égoïstes de l'individu, par rendre acceptable le cynisme et l'insensibilité ; à l'échelle de nos sociétés c'est finalement réduire les individus à des acteurs autonomes et indépendants les uns des autres. Et dans cette indépendance, détruire toute justification ou raison d'être d'un tissu social digne de ce nom. Indépendant et responsable, l'individu? Alors à quoi bon la communication et l'échange, puisqu'in fine n'existeront plus que des convergences d'intérêt? Dans l'excès de liberté politique on trouve la possibilité de voter la disparition de la politique... Et d'oublier que la liberté de l'individu ne peut remplacer le pouvoir de se gouverner (kratia) du peuple (démos) ; autrement dit, que la démocratie enlève nécessairement une liberté individuelle: la liberté d'être désintéressé.
Fin de la Guerre Froide = ?
La fin de la Guerre Froide par l'effondrement de l'Union Soviétique a, paraît-il, consacré la victoire de la démocratie libérale comme le meilleur système de gouvernement, justifié la relation entre le capitalisme et la liberté de l'Homme, montré l'échec du communisme et même (selon Milton Friedman), celui du socialisme. En somme, le libéralisme a prouvé être le mode de pensée du nouveau millénaire, et permis à l'individu d'être enfin au centre de la société et de recouvrer toutes ces libertés perdues.
Mais si l'individu du futur doit assumer la gestion de la société, sans pouvoir de l'état, sans contrainte sur sa pensée ou ses instincts, sera-t-il encore responsable? Si l'intolérance et l'égoïsme sont des droits, quid des devoirs?
On prétend toujours donner plus de libertés à l'homme, valoriser l'individu plutôt que l'état, l'individu plutôt que le groupe. Mais le propre de l'homme c'est de savoir survivre en étant un animal social. A donner certaines libertés, on oublie un peu vite que toutes ne sont pas bonnes à prendre et que le libéralisme peut être aussi libérateur que destructeur -l'homme n'est-il pas un loup pour l'homme?
Si chacun doit être libre de penser comme il le souhaite, encore faut-il, pour certains, apprendre le pouvoir des idées. Sur le papier, certains principes peuvent apparaître justes et légitimes, et certains droits relever du bon sens commun. Les avantages peuvent paraître immédiats et justifiés, tandis que les inconvénients sont des abstractions, bien loin du quotidien et de son confort personnel. Il n'est guère facile de prendre conscience de ce qu'on cautionne réellement chaque jour, d'assumer la responsabilité non seulement de soi-même, mais aussi d'une société ou chacun s'en contente. Quel individu sera vraiment capable de gérer non seulement sa vie, mais s'assurer qu'il protège l'environnement, qu'il n'exploite aucun enfant du Tiers-Monde, qu'il n'a pas, indirectement, provoqué la souffrance ou la mort de son prochain?
Lorsque certaines idées sont mises en pratique, certaines abstractions vite ignorées se révèlent être soudain des problèmes très concrets, dont souffriront les autres -on espère. Mais il est souvent trop tard quand on mesure l'ampleur du désastre et l'horreur très réelle d'une fausse abstraction.
Sources:
The New York Times: "A Culture Soaked in Blood", par Bob Herbert. 24/04/09
The New York Times: "The Banality of White House Evil", par Frank Rich. 25/04/09
samedi 18 avril 2009
Tea Parties (2)
Les Tea Parties continuent aux Etats-Unis. A l'occasion de la date butoir pour rendre ses feuilles d'imposition jusqu'à 250,000 personnes auraient protesté contres les politiques fiscales de Barack Obama. Mini-scandale politique: le gouverneur de l'Etat du Texas a même évoqué une sécession "si Washington continue à faire un pied-de-nez au peuple américain".
La menace serait peut-être comique si elle n'était pas représentative d'un problème profond, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi en Europe et en France. Il y a pour le citoyen lambda une révolte grandissante contre le principe même de l'impôt. A sa source, un libéralisme extrême visant à supprimer, ou du moins à réduire au maximum, l'Etat.
Pourquoi cette haine de l'Etat? Les réponse sont malheureusement trop nombreuses: politiciens démagogues et profiteurs, gaspillages de l'argent public, administrations et bureaucraties aussi inefficaces que condescendantes, insuffisances des services publics... Bien que les critiques faites au système étatique soient souvent exagérées, elles ont toujours à la base une expérience bien concrète, une déception ou une amertume légitime.
A l'autre extrême, le gouvernement Obama incarne pourtant une politique aussi socialiste qu'il est possible de mener aux Etats-Unis. Cette fois c'est le pouvoir économique qui est visé: PDG sans scrupules, licenciements abusifs, gaspillage des matières premières et désastres écologiques, cupidité démesurée, baisse de la qualité de produits ou de services... etc. Là encore, on ne peut nier la justesse des propos pour dénoncer un pouvoir trop souvent néfaste.
Au centre des deux mouvements, une même critique: celle de tout pouvoir considéré comme arbitraire, de toute condescendance réelle ou perçue d'organisations (Etat, administrations & entreprises) incontournables pour l'individu au quotidien. En d'autres termes, une vision des choses finalement très commune, mais dont les diagnostics et les solutions diffèrent. Un symptôme de nos sociétés modernes dans lesquelles chacun réclame à sa façon plus de considération, de respect et d'humanisme.
Pourtant, bien peu d'activistes dans les deux mouvements peuvent offrir une alternative viable à l'existence d'organisations prenant en charge une partie de leur quotidien. Si l'individu est au coeur des deux mouvements, personne ne semble prêcher une augmentation des responsabilités et des devoirs individuels pour contrebalancer les pouvoirs en place. En somme, on s'entend pour déléguer les responsabilités, mais en réclamant une efficacité et une attention impossibles à obtenir du fait même de la délégation. Une équation impossible à résoudre en apparence, tant que les critiques se traduiront avant tout par la protestation.
Les solutions viables pourtant ne manquent pas: décentralisation des pouvoirs publics, gestion collective des entreprises économiques, démocratie participative... etc. Mais un tel changement de paradigme impliquerait une prise de conscience collective sur les mécanismes de nos sociétés, et surtout, beaucoup plus d'efforts au niveau individuel. Un pas que l'immense majorité n'est pas prête à faire, puisqu'il faudrait renoncer à un grand nombre de petits conforts personnels ; il est considérablement plus facile de critiquer les impôts ou les profits que de prendre en main la gestion collective des ressources et des services d'une société, de critiquer nos élites en somme, plutôt que de les remplacer. A terme cependant, ces mouvements trouvent leurs limites: in fine, ni le socialisme ni le libéralisme ne peuvent valoriser l'individu plus qu'ils ne l'ont déjà fait. Car l'humanisme n'est pas l'affaire d'organisations ou d'idéologies, mais bien l'affaire des hommes, de chacun, au jour le jour. Et pour recevoir le respect que l'on estime mériter, il faut -hélas- immanquablement commencer par le donner soi-même.
Sources:
The New York Times:Weekend Opinionator: "Tea Parties, to the Extreme" par Tobin Harshaw. 17/04/09
The New York Times: "Twitters From Texas" par Gail Collins. 18/04/09
Le Monde: "Les conservateurs américains organisent des "tea-parties" anti-Obama". 16/04/09
lundi 13 avril 2009
Tea Parties
Le soir du 16 décembre 1773, une soixantaine d'américains costumés en indiens Mohawks montent à bord de trois navires britanniques amarrés dans le port de Boston pour jeter à la mer -dans le plus grand silence- environ 45 tonnes de thé.
L'événement, surnommé le Boston Tea Party deviendra symbolique des prémices de la guerre d'indépendance américaine, que les américains appellent encore aujourd'hui une "révolution". Pourquoi une révolution? Parce qu'il s'agit là d'un mouvement de protestation spontanée contre les impôts abusifs de la Grande-Bretagne sur les produits de ses colonies d'outre-atlantique, notamment le thé. La révolte est causée surtout par l'absence de représentation des colons au parlement anglais qui donnera un fameux slogan: "no taxation without representation". Les rebelles refusent l'autorité de la couronne britannique qu'ils décrivent comme arbitraire.
Alors pourquoi des Tea Parties en 2009? Parce que les politiques économiques de Barack Obama inquiètent. Pour les conservateurs américains, les plans de relance des démocrates (787 milliards de dollars aux dernières nouvelles) ne peuvent que se traduire par plus d'impôts. Or, beaucoup ne reconnaissent pas l'autorité du gouvernement fédéral américain, jugeant les élections sans valeur. Pour l'extrême-droite américaine, l'Etat n'a pas à avoir le moindre pouvoir sur l'individu. Et ils sont prêts à se battre contre ça...
Les américains des Tea Parties ne souhaitent pas payer pour ce à quoi ils ne croient pas. Le phénomène n'est pas nouveau, puisque c'était déjà le slogan de la nouvelle droite américaine au début des années 1980. "Le gouvernement n'est pas la solution, le gouvernement est le problème" déclarait Ronald Reagan. Si au début des années 1980 le mouvement s'attaquait au "Welfare Queens", des soi-disant mères célibataires au chômage "profitant" de la sécurité sociale pour rouler en cadillac, il semble s'en prendre aujourd'hui aux banquiers et aux entreprises que l'on doit sauver avec l'argent du contribuable.
Semble. Car le mouvement est fortement idéologique, et rencontre un certain scepticisme sur son organisation. Certes, il y a de nombreux américains moyens ne souhaitant pas payer trop d'impôts, qui sont prêts à descendre dans la rue. Mais le mouvement est coordonné par FreedomWorks, une organisation dirigée par un parlementaire républicain et financé semble-t-il par de grosses fortunes. Les médias et journalistes de droite, FoxNews ou Rush Limbaugh, se sont empressés de médiatiser des manifestations qui, jusqu'ici, ne semblent rassembler que quelques milliers de personnes à chaque fois... dans les meilleurs cas, car certains rassemblements peinent à attirer plus de quelques douzaines de personnes.
Pourquoi cette agitation alors? Pour l'instant la seule mesure fiscale marquante de l'administration Obama est une augmentation des impôts de 10% pour les américains les plus fortunés (ceux dont le salaire annuel comporte six zéros après le chiffre). Cela suffit pour que sa politique soit dénoncée comme "socialiste", et que des organisations conservatrices en appellent à la révolte par le biais d'internet. Dans certains cas, cela marche. Et bien entendu, le mouvement sera de mieux en mieux organisé au fil du temps. Il est même tout à fait probable qu'il serve de catalyseur à un retour des Républicains dans les urnes.
Car le but des conservateurs est d'avoir un impact sur les élections législatives de 2010, ainsi que de revitaliser un thème idéologique cher aux Républicains: le "petit" gouvernement. On peut imaginer ce que seraient les Etats-Unis s'ils connaissaient le succès: les plans de relance seraient annulés, de nombreuses entreprises feraient faillite, et les impôts seraient encore baissés pour "stimuler" l'économie. Bien sûr, ce serait une catastrophe puisque cette recette a fait passer jadis le déficit budgétaire américain d'environ 252 milliards sous Carter à 1,4 trilliard sous Reagan! Au jour d'aujourd'hui de telles politiques auraient aussi de douloureuses répercussions au niveau mondial.
Mais on trouvera toujours, aux Etats-Unis et ailleurs, des gens pour haïr les impôts... au point parfois d'être prêt à tout sacrifier. Culture d'abord, puis l'Education et la Santé, et maintenant les entreprises elles-mêmes. Preuve sans doute que l'idéologie à outrance, à gauche comme à droite, ne mène qu'à l'absurdité la plus totale.
Sources:
The New York Times: Tea Parties Forever, par Paul Krugman. 12/04/09
USA Today: Tax Revolt a Recipe for Tea Parties, par Oren Dorell. 12/04/09
dimanche 5 avril 2009
Liberté, égalité, envie
C'est inhabituel mais intéressant: Amélie Nothomb nous livre un petit commentaire politique dans le New York Times du jour. Traduction...
Dans le même numéro du New York Times, la célèbre chroniqueuse Maureen Dowd (Pullitzer 1999) qualifie N. Sarkozy de "napoléonique".
C'est plutôt bien trouvé, non?
Liberty, Egality, Envy, par Amélie Nothomb, New York Times du 05/04/09
The First Shrink, par Maureen Dowd, New York Times du 05/04/09
Le sentiment en Europe -et tout particulièrement en France- à propos de la présidence de Barack Obama est aussi claire que le jour: nous sommes envieux.
Nous avons conscience que les résultats de la politique économique de Mr Obama ne sont pas -encore- bons et qu'ils ont peu de chance d'être merveilleux dans le proche futur. Ici aussi les résultats des politiques économiques de nos dirigeants ne sont pas bons du tout. Nous savons tout cela. Néanmoins, nous sommes envieux parce que les Américains sont si visiblement fiers de leur président. Pire encore, nous avons le sentiment que les Américains ont une sorte de foi en Barack Obama. Nous aimerions avoir le même sentiment à propos de nos présidents et de nos dirigeants.
Naturellement, nos présidents et dirigeants sont encore plus envieux que nous le sommes. Ils semblent tous se demander pourquoi ils ne sont pas autant aimés que Barack Obama. Certains d'entre eux essayent de jouer sur une ressemblance avec Mr Obama ; d'autres suggèrent qu'il est surfait. Et ainsi de suite... C'est un spectacle extrêmement amusant.
L'envie est une passion complexe. Elle engendre à la fois l'amour et la haine. De nombreux intellectuels Français détestent Barack Obama car ils pensent que trop de gens l'adorent, et avec trop d'ardeur. Mais globalement, l'optimisme et l'excitation ressentie par une majorité de la population Française pendant la campagne présidentielle de Mr Obama et au moment où il a été élu n'ont pas diminué.
Nous avons eu la chance d'apprécier l'esprit de coopération avec l'Europe de Mr Obama au sommet du G20. Ce fut presque une surprise, car nous ne sommes plus habitués à de telles choses après les années d'isolationnisme de George W. Bush. La position de Mr Obama sur l'Iran a provoqué des réactions plus-que-favorables à travers toute l'Europe, et particulièrement en France, et rien ne semble apporter de nuages au ciel bleu de l'histoire d'amour entre le vieux continent et le président Obama. La colère de Mr Obama est montrée ici comme quelque chose de sacrée. Quand il rit, nous rions.
D'un autre coté, quand notre président Nicolas Sarkozy se met en colère, nous rions. Quand il rit, nous nous demandons pourquoi. Nous sentons que Mr Obama confère de la dignité à son pays et à son peuple. Nous aussi souhaiterions vivement être dignifiés.
Dans le même numéro du New York Times, la célèbre chroniqueuse Maureen Dowd (Pullitzer 1999) qualifie N. Sarkozy de "napoléonique".
C'est plutôt bien trouvé, non?
Liberty, Egality, Envy, par Amélie Nothomb, New York Times du 05/04/09
The First Shrink, par Maureen Dowd, New York Times du 05/04/09
vendredi 3 avril 2009
Darwin face au créationnisme
Voici donc l'article sur Darwin et le créationnisme Américain dans sa forme finale.
Voir le Fichier : Darwin.doc
La confrontation entre les thèses de Charles Darwin sur l’origine des espèces et les fondamentalistes chrétiens aux Etats-Unis est bien connue. Dans un pays très fortement marqué par la religion, dont les pièces de monnaies sont d’ailleurs porteuses de la célèbre phrase « nous avons foi en Dieu » (in God we trust), et les discours politiques rythmés par les « Dieu bénisse l’Amérique » (God bless America), les idées avancées par Darwin dérangent. Elles remettent non seulement en question une interprétation littérale des écritures, mais également la vision des Etats-Unis comme une nation à part qui serait guidée par la providence divine. On aurait tort de confondre le sécularisme Américain avec la laïcité Française : la Constitution Américaine ne remet pas en question la place de la religion dans la sphère publique, mais interdit l’établissement d’une religion unique. Les Américains restent cependant un peuple extrêmement croyant, puisque que pas moins de 95% d’entre eux disent croire en Dieu .
C’est donc de l’interprétation de la Constitution dont il est question, question décidée aux Etats-Unis par les tribunaux, et plus particulièrement la Cour Suprême -la plus haute instance juridique du pays. A travers l’histoire Américaine, les partisans de l’évolution et ceux d’une création divine vont donc se faire face dans une série de procès destinés à juger de la place de l’évolution. Voilà comment Darwin est, encore aujourd’hui, au banc des accusés.
Certains de ces procès, ainsi que leurs acteurs et leurs idées, sont bien connus. On se rappelle du « procès du singe » en 1925 comme de la première victoire de l’évolution aux Etats-Unis. A tort pourtant, car c’est bien l’interdiction d’enseigner l’évolution qui y sera confirmée. Il faut en fait attendre 1968 pour que la Cour Suprême déclare une telle interdiction anticonstitutionnelle . Depuis, les créationnistes n’ont eu de cesse de chercher à contourner cette décision, tantôt en invoquant la liberté de religion, tantôt en inventant une « science de la création » ou un « dessein intelligent ». Le plus récent de ces procès date de 2005, et le combat contre Darwin continue.
On pourrait croire qu’il s’agit là d’un combat d’arrière-garde mené par une minorité bigote et peu éduquée ; ce serait mal comprendre le mouvement créationniste Américain. A en croire un sondage de 2001, 45% des Américains croient que « Dieu a créé les humains globalement sous la forme qu’ils ont aujourd’hui il y a 10,000 ans ou moins ». En 2005, George W. Bush déclarait que « les deux idées devraient être enseignées […] afin que les gens puissent comprendre en quoi consiste le débat » . En fait, le débat n’est pas une question scientifique, mais bien un problème de société : les Américains se défient d’une science qui semblerait reléguer la religion et la morale au second plan. A en croire les thèses de Darwin, l’Homme serait un animal parmi d’autres ; les Américains eux, préfèrent continuer à le voir comme une créature morale et spirituelle. Ce n’est pas tant l’évolution qui est rejetée que la vision matérialiste de l’humanité qu’elle propose, une vision jugée
« amorale » quand il s’agit de la transmettre par l’éducation.
Voir le Fichier : Darwin.doc
La confrontation entre les thèses de Charles Darwin sur l’origine des espèces et les fondamentalistes chrétiens aux Etats-Unis est bien connue. Dans un pays très fortement marqué par la religion, dont les pièces de monnaies sont d’ailleurs porteuses de la célèbre phrase « nous avons foi en Dieu » (in God we trust), et les discours politiques rythmés par les « Dieu bénisse l’Amérique » (God bless America), les idées avancées par Darwin dérangent. Elles remettent non seulement en question une interprétation littérale des écritures, mais également la vision des Etats-Unis comme une nation à part qui serait guidée par la providence divine. On aurait tort de confondre le sécularisme Américain avec la laïcité Française : la Constitution Américaine ne remet pas en question la place de la religion dans la sphère publique, mais interdit l’établissement d’une religion unique. Les Américains restent cependant un peuple extrêmement croyant, puisque que pas moins de 95% d’entre eux disent croire en Dieu .
C’est donc de l’interprétation de la Constitution dont il est question, question décidée aux Etats-Unis par les tribunaux, et plus particulièrement la Cour Suprême -la plus haute instance juridique du pays. A travers l’histoire Américaine, les partisans de l’évolution et ceux d’une création divine vont donc se faire face dans une série de procès destinés à juger de la place de l’évolution. Voilà comment Darwin est, encore aujourd’hui, au banc des accusés.
Certains de ces procès, ainsi que leurs acteurs et leurs idées, sont bien connus. On se rappelle du « procès du singe » en 1925 comme de la première victoire de l’évolution aux Etats-Unis. A tort pourtant, car c’est bien l’interdiction d’enseigner l’évolution qui y sera confirmée. Il faut en fait attendre 1968 pour que la Cour Suprême déclare une telle interdiction anticonstitutionnelle . Depuis, les créationnistes n’ont eu de cesse de chercher à contourner cette décision, tantôt en invoquant la liberté de religion, tantôt en inventant une « science de la création » ou un « dessein intelligent ». Le plus récent de ces procès date de 2005, et le combat contre Darwin continue.
On pourrait croire qu’il s’agit là d’un combat d’arrière-garde mené par une minorité bigote et peu éduquée ; ce serait mal comprendre le mouvement créationniste Américain. A en croire un sondage de 2001, 45% des Américains croient que « Dieu a créé les humains globalement sous la forme qu’ils ont aujourd’hui il y a 10,000 ans ou moins ». En 2005, George W. Bush déclarait que « les deux idées devraient être enseignées […] afin que les gens puissent comprendre en quoi consiste le débat » . En fait, le débat n’est pas une question scientifique, mais bien un problème de société : les Américains se défient d’une science qui semblerait reléguer la religion et la morale au second plan. A en croire les thèses de Darwin, l’Homme serait un animal parmi d’autres ; les Américains eux, préfèrent continuer à le voir comme une créature morale et spirituelle. Ce n’est pas tant l’évolution qui est rejetée que la vision matérialiste de l’humanité qu’elle propose, une vision jugée
« amorale » quand il s’agit de la transmettre par l’éducation.
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