En cette période de crise économique, le libéralisme est plus que jamais attaqué comme une idéologie défaillante. Sa prétention à assurer le développement économique est remise en question, cependant que son caractère inhumain reste souligné par l’extrême-gauche partisane de l’alter-mondialisation.
Pourtant, un rejet simple du libéralisme ne permet pas d’en comprendre les défaillances, encore moins d’apporter une alternative viable. Quelques rappels sont nécessaires.
Historiquement le libéralisme, en prônant l’émancipation de l’individu face à l’Etat, prétendait apporter une auto-régulation du tissu social par une hiérarchisation utilitaire plutôt qu’héréditaire. En politique, cela nous a mené à la démocratie représentative que l’on connaît aujourd’hui –à la suite d’un effacement de la monarchie et de l’aristocratie. En économie, cela se traduit par un recul de l’Etat et une privatisation des moyens de production. C’est l’échec de cet auto-régulation économique qui remet aujourd’hui en cause les principes fondateurs du libéralisme, appelant par la-même à dépasser la pensée libérale.
Un monde « post-libéral » est pourtant encore difficile à imaginer, tant ces principes idéologiques ont de manière parfois insidieuse infiltré l’opinion publique et les mentalités. Pour une majorité aujourd’hui, l’Etat doit se cantonner à un rôle de gestionnaire de l’ordre et de la sécurité publics. Même les partisans de l’Etat-providence n’imaginent pas dé-libéraliser les sphères politiques ou médiatiques ; la critique est donc dirigée contre le libéralisme économique, et c’est celui-ci qu’on désigne en France sous le nom générique de « libéralisme ».
Le libéralisme économique a-t-il échoué ? Question difficile s’il en est, puisqu’en un certain sens celui-ci n’a jamais existé. L’intervention étatique, même réduite à un minimum, est demeurée sous des formes diverses et variées, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, grâce notamment aux Banques Centrales (Banque Centrale Européenne & FED), chargées de réguler les questions monétaires et bancaires. En un sens, la crise est donc l’échec des Banques Centrales à réguler correctement la création monétaire et la spéculation, plutôt que celui du libéralisme économique.
Oui mais. Cette spéculation, celle qui a engendré la crise dite des « subprimes », a eu lieu dans un univers économique qu’on peut qualifier de « virtuel », tant les valeurs sur lesquelles s’exerce le profit sont déconnectées de la valeur réelle des biens et des entreprises ainsi gérées (les points communs avec la crise de 1929 ne manquent donc pas). C’est cette virtualisation de l’économie, paradis des spéculateurs cyniques et intéressés, qui est aujourd’hui montrée du doigt ; on y voit une faille systémique du libéralisme qui encourage l’action individuelle et la dérégularisation. Le libéralisme n’est pas fautif en soi, c’est l’inéluctable spéculation qui en découle qui le condamne.
Il est cependant également possible de s’attaquer aux définitions qui sont au cœur même de l’idéologie libérale. En opposant l’individu à l’Etat, le libéralisme a rejeté les valeurs communautaires traditionnellement associées au socialisme telles que la solidarité sociale et l’égalitarisme doctrinaire. Dans cette idéologie, les rapports d’interdépendance et de cause à effet sont donc posés de manière arbitraire : l’Etat est décrit comme un acteur oppressant, aliénant les libertés individuelles. Un tel postulat demeure cependant vrai pour tout groupe ou toute société puisque –par définition- l’individu s’efface dans sa participation au groupe. La diabolisation de l’Etat dans la philosophie libérale ne se comprend que dans la perspective historique du siècle dernier ; elle est aujourd’hui largement obsolète car les relations d’aujourd’hui entre individu et Etat ne génèrent pas automatiquement d’aliénation.
Dans le domaine économique aussi, certains postulats de base du libéralisme gagnent à être remis en question. Ainsi, le discours le plus courant et le plus communément admis –y compris chez les anti-libéraux- consiste à présenter les mécanismes de solidarité sociale comme dépendants de prélèvements sur le secteur privé. En d’autres termes, on admet que l’éducation ou la santé sont financés par les impôts sur le revenu et sur les entreprises.
Une analyse économique pragmatique nous montre qu’il n’en est rien, et que de tels liens entre les secteurs privés et publics sont au mieux théoriques.
Toute activité économique est stimulée par la création monétaire, autrement dit par les crédits accordés aux investisseurs. L’argent ainsi investi pour la production de biens matériels n’a donc aucune valeur –de fait, aucune existence- avant la création desdits biens. Contrairement au schéma communément admis, l’offre précède toujours la demande ; les entreprises et les salaires qu’elles paient sont financés par la création monétaire avant d’être rentabilisés par la consommation. Or, l’idéologie libérale interdit la création monétaire a but non lucratif ; seul le profit peut justifier l’investissement. Les activités d’intérêt commun, souvent rentables mais rarement profitables, telles que l’éducation ou la santé, doivent donc expliquer leur financement par un autre mécanisme. La désignation de l’impôt comme source de financement public n’est donc possible que si l’on exclut préalablement l’idée que le service public profite également d’une création monétaire.
On voit comment la dépendance du secteur public est en fait créée de toutes pièces dans l’idéologie libérale. C’est pourtant un fait communément admis par la majorité, qui voit les activités d’intérêt public comme peu rentables, voir déficitaires. On ignore ainsi que le secteur privé est largement alimenté par des mécanismes le favorisant grandement, sans pour autant le rendre forcément rentable.
Dépasser la pensée libérale ne demande donc pas simplement une remise en question de la non-intervention étatique, mais une redéfinition de certains principes structurels de la société. L’idéologie libérale est apparue à une époque où l’aliénation des libertés individuelles n’avait rien de symbolique ; l’émancipation économique de l’individu était un moteur pour son émancipation politique (on sait à quel point les deux furent liés dans la démocratisation des pays européens). Aujourd’hui les deux libéralismes n’ont plus à être liés ; le libéralisme politique, pilier de la démocratie occidentale, n’interdit en rien un anti-libéralisme économique. Pour un libéralisme « à visage humain », peut-être suffit-il de cesser de favoriser les entreprises privées à but lucratif, et de revaloriser l’action sociale à but désintéressé. Si demain la création monétaire était réservée aux entreprises solidaires, on aurait non seulement dépassé la pensée libérale mais on l’aurait véritablement et durablement améliorée.
Pour cette note, je me dois de citer l’article de Jean-Marie Harribey dans Le Monde Diplomatique de novembre 2008 : Les vertus oubliées de l’activité non marchande.
J’en recommande chaudement la lecture !
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