samedi 5 décembre 2009

Les caisses de l'Etat sont vides!

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"Les caisses de l'Etat sont vides!", ou encore "Ras-le-bol des impôts!" sont des litanies courantes. Malaise typiquement Français? Pourtant non, c'est la Californie en l'occurrence qui est au plus mal avec un déficit chronique de 26 milliards de dollars. Et cela ne risque pas de s'améliorer: la dette californienne augmente de 1,7 million de dollars par heure, et de 40 millions par jour! Cet état Américain est pourtant réputé pour être à lui seul la 8ème puissance économique mondiale.

La droite traditionnelle est toujours perçue comme fiscalement responsable, soucieuse d'équilibrer les budgets et de limiter les dettes. Depuis la présidence de Reagan pourtant, cette vision a changé, car la "nouvelle droite" se refuse à augmenter les impôts pour des raisons principalement idéologiques.

Ironiquement, Reagan ne s'était pas attaqué aux impôts californiens, bien au contraire. Ce n'est qu'une fois à la tête de l'Etat fédéral qu'il lança son programme de "vaudou économique", avec une remarquable baisse d'impôts en 1981 malgré un déficit national de 100 billiards pour "stimuler l'économie".

Cette pratique s'est perpétuée, et s'est même faite idéologie: la "nouvelle droite" n'hésite plus à faire fi de la dette quand il s'agit de s'attaquer aux impôts. Cette doctrine libérale anti-étatique a même beaucoup de succès auprès des populations qui espèrent voir l'ardoise de leurs prélèvements diminuer.

Or, de Reagan à Sarkozy, les baisses d'impôts sont soit ponctuels (la TVA) ou uniformes ; dans des pays où les prélèvements sont progressifs (les revenus plus importants payent plus d'impôts), des baisses uniformes profitent logiquement aux revenus plus importants ; pour profiter à la majorité de la population, les baisses d'impôts devraient être inversement progressives, c'est à dire plus importantes pour les revenus les plus moyens. Pareillement, les baisses des droits de successions profitent essentiellement aux héritages conséquents.

En France comme aux Etats-Unis, c'est l'éducation et la santé qui font les frais de ces politiques, accentuant encore les inégalités. En Californie, les frais de scolarité ont augmenté de 32% à l'Université ; en France, c'est quinze mille postes d'enseignants qui sont supprimés chaque année. La réforme du système de santé Américain n'a été votée qu'après la promesse d'Obama qu'elle n'augmenterait pas d'un centime le déficit ; en France, on limite les nombres d'actes de chirurgie dans certains hôpitaux publics. Dans tous les ministères, il faut "faire des économies".

C'est ainsi que les baisses d'impôts aux plus fortunés sont financés, année après année, par la déconstruction des services publics, services publics dont les compétences sont ensuite transférées à des entreprises privées, qu'on dit être plus "efficaces", mais dont la recherche du profit diminue en fait le rapport qualité-prix comme la qualité du service.

Piquant de l'histoire, les partis de centre-gauche (la gauche ayant perdu toute crédibilité après l'effondrement de l'Union Soviétique), sont accusés d'être "mauvais gestionnaires", eux dont le "socialisme" "mènerait l'Etat à la faillite". Ainsi Obama doit-il composer avec un Congrès et une population qui surveille le moindre "gaspillage" social. C'est pourtant les dépenses militaires faramineuses des administrations Républicaines, de Reagan à W.Bush, qui ont creusé le déficit de manière spectaculaires.

Ces manoeuvres ne doivent rien au hasard. Utiliser le déficit pour soutenir les politiques libérales est une stratégie tout à fait consciente de la "nouvelle droite", tacitement cautionnée par la plupart des médias, qui évitent de souligner les dangers et les inégalités des baisses d'impôts. Bien souvent hélas, les empires médiatiques sont proches des empires personnels et financiers bénéficiant du sabordage de l'Etat-providence. Le ver est dans le fruit.

Pour que ce sabordage fasse le moins de vague possible, il doit être progressif et donc invisible pour la population. Ainsi les lois successives sur l'Université Française, dont le but à terme est bien entendu de rendre celle-ci "autonome" (comprendre: auto-suffisante sur le plan financier), et donc payante. Ces successions de "réformes", dont les objectifs finaux sont là aussi tus par les grands médias, s'accompagnent d'un autoritarisme et d'une hiérarchisation que l'on retrouve à tous les niveaux, de l'Hôpital à l'Université, en passant par la Justice ou l'Intérieur. Il ne faudrait pas que la modernisation (comprendre, la privatisation ou la réduction) des services publics soit enrayée par la fronde des fonctionnaires. Par ailleurs, au coeur de la stratégie du gouvernement, la gradualisation des réformes permet d'opposer les intérêts des uns et des autres: privé contre public ("prise en otage des usagers"), voir même public contre public (Justice contre Education), ou encore dans le même secteur public (secondaire contre supérieur). En prétextant le manque de moyens, tout le monde est encouragé à se disputer les dernières miettes de l'Etat-providence.

Le citoyen, perdu au milieu de réformes successives, "patchwork" illisible pour qui n'a pas une solide connaissance des idéologies mises en oeuvre, ne peut qu'approuver ce qu'il perçoit comme un modernisation, qui semble par ailleurs dans son intérêt ; car le citoyen, réduit à son rôle de contribuable, est bien un "client" de l'Etat devenu gestionnaire-prestataire, et ne peut qu'approuver la réduction-modernisation de certains pans du service.

Bien sûr, il y a tromperie sur les termes, et c'est là que ressurgit le spectre californien. Car les baisses (ou les non-augmentations d'impôts) ne sont pas -comme on nous pousse à le croire- synonymes d'une baisse du budget d'un Etat. Ainsi la France semble vouloir s'endetter toujours plus par un "emprunt national". A qui profite le crime? Certainement pas à la recherche publique dont les moyens sont en diminution constante depuis plusieurs décennies. Force est de constater que l'argent sert, directement ou indirectement, à soutenir des projets privés, qu'ils soient des privatisations, des restructurations, ou des "transferts de compétences". L'Etat devient donc la vache-à-lait, non plus des fonctionnaires (voués à disparaître dans la haine collective), mais des entreprises.

Ce pourrait être anodin, si la politique libérale de la "nouvelle droite" n'était pas irréversible. Là encore, les médias sont complices d'une évolution qui ne fera pas machine arrière. A cause de la dette publique, justement, ces politiques sont pour ainsi dire impossibles à contre-carrer. Une fois le budget d'un ministère "réduit", le fameux argument des "caisses vides" empêchera celui-ci d'être revalorisé par la suite, même en cas de victoire du centre-gauche. Voila donc la suprême tragédie des réformes de cette "nouvelle droite", que de faire perdre son sens aux concepts même de démocratie, en retirant au peuple le choix de son idéologie ; d'autant que l'opposition ne se fait plus forcément la représentante de l'alternative, et qu'elle n'a plus de "socialiste" que le nom.

Alors, quel espoir? L'élection d'Obama aux Etats-Unis a prouvé que les alternatives font encore des émules, même si les médias ont abandonné leur rôle de contre-pouvoir. Le succès démesuré de la "nouvelle droite" de W.Bush a poussé Obama à la Maison-Blanche, mais il lui a aussi laissé des "caisses vides" qui rendent quasiment impossibles la politique sociale qu'il semblait vouloir mettre en place.

En France aussi, même une victoire centre-gauche ne porterait guère de fruits. La conclusion inévitable, c'est que la politique n'est que le choix du moindre des maux, et non plus le choix d'un idéal. Il faut s'interroger désormais sur la nature réelle de nos "démocraties libérales" pour fonder une réelle alternative à l'idéologie dominante ; en d'autres termes, il n'y aura pas d'alternative sans révolution institutionnelle.

Sources:
Le Monde Diplomatique (décembre 2009): Une dette providentielle (Serge Halimi)
Le Monde Diplomatique (décembre 2009): Comment vendre à la découpe le service public: de l'Etat-providence à l'Etat manager (Laurent Bonelli et Willy Pelletier)
The New York Times: The Lost Weekend (Gail Collins)
Times: California faces financial meltdown as debt grows by $1.7m an hour

lundi 9 novembre 2009

20 ans déjà!

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Il y a vingt ans hier, la chute du mur de Berlin symbolisait l'effondrement du bloc de l'Est et la mort du communisme en tant qu'aspiration des peuples. Cette année là, l'historien Américain Francis Fukuyama, longtemps étiqueté "néo-conservateur", osait décréter la fin de l'histoire et le succès de la démocratie libérale.

L'Histoire s'est-elle arrêtée? Vingt ans après, personne n'arrive à donner de réponse catégorique à cette question. La dissolution de l'URSS en 1991, mais aussi la fin de nombreuses dictatures sud-américaines, ont paru marqué un recul irrémédiable du totalitarisme dans le monde.

Selon le Human Security Report Project (une organisation Canadienne sur les grandes tendances politiques), il existait en 2005 environ 88 démocraties pour 195 états reconnus par l'ONU, soit une proportion approchant de plus en plus les 50%. Officiellement cependant, ce sont plus de 95% des états de la planète qui se réclament de la démocratie!

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Sur cette carte, les pays en bleu se disent démocratiques, et autoriser l'existence de groupes d'opposition.
(source: wikipédia, "démocratie")

Cette réalité peut nous conduire à nous interroger sur la pertinence du propos de Fukuyama. Si l'Histoire n'est pas finie, n'existe-t-il pas de facto un consensus démocratique dans le monde? Si même les tyrans se disent démocrates, de peut-on pas admettre que, de manière plus ou moins consciente, l'ensemble de l'humanité s'entend déjà pour plébisciter toujours plus de démocratie?

Comme l'explique le journaliste Ross Douthat dans le New York Times, la fin de l'Histoire fait peur, et l'on ressuscite volontiers le cours de celle-ci par le "choc des civilisations" ou le terrorisme. N'empêche qu'on peut aujourd'hui imaginer un statu quo quasi-permanent, voir même une lente mais constante amélioration, par le biais de la mondialisation économique et informatique.

Alors finie l'Histoire? Ce serait oublier les défaillances de nos sociétés actuelles. Si le consensus a été atteint sur la démocratie, les systèmes économiques et politiques restent discutables et discutés. Peu nombreux -et bienheureux- sont ceux qui peuvent se dire complètement libres dans le monde d'aujourd'hui. Le capitalisme déçoit toujours autant, et beaucoup continuent à y voir l'aliénation des classes les plus populaires, a fortiori dans les nations les moins développées. Les inégalités et les tensions sont aussi vivaces qu'à n'importe quelle époque, et les historiens sont donc encore loin d'être au chômage.

Alors pourquoi pense-t-on qu' "elle" est finie si ce ne peut être le cas? Peut-être parce qu'un consensus existe, pour la première fois dans l'Histoire, au niveau mondial. Une idée s'est enfin imposée. Les contours de ses principes sont encore flous, mais il a été admis que l'individu ne saurait être asservi à la communauté, que l'intérêt commun passe bel et bien par l'intérêt de chacun, qu'il n'y a pas, en d'autres termes, de raccourci commode pour cette fameuse "quête du bonheur" partie intégrante des droits de l'Homme. Et de faire naître un espoir donc, qui ne se lasse pas, que la fin approche effectivement.

Il faut dire aussi que l'espoir est partout. Aux Etats-Unis, après plusieurs millénaires, les fossés entre les hommes semblent -au moins symboliquement- s'être estompés, un phénomène incarné par un dirigeant admiré du monde entier ; en Europe, après 2000 ans de bains de sang, des peuples aussi différents que divers ont décidé de s'unifier sous la bannière d'une fédération qui n'est plus seulement économique ; en Chine, la possibilité d'une démocratisation continue à faire rêver une nouvelle classe moyenne ; en Amérique du Sud, on continue à panser les blessures des totalitarismes passés.

Finie l'Histoire? Non. Mais la volonté est bien là, et c'est déjà beaucoup.

Sources:
The New York Times: Life After the End of History
The New York Times: 20 Years of Collapse
Newsweek: The Wall and the End of History

dimanche 8 novembre 2009

Health Care Reform: étape 1

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La difficile réforme du système de santé Américain a franchi sa première étape, avec le vote de la proposition par la Chambre des Représentants.

Mais alors que le vote est bel et bien le plus grand triomphe d'Obama à ce jour, la loi elle-même continue de soulever un grand nombre de questions.

Le financement reste un vrai problème puisque le budget alloué serait d'un trilliard de dollars sur dix ans, ou 100 milliards par an. Or, le mode de financement reste non défini, même si -à l'évidence- le retrait des troupes en Irak constitue une économie non négligeable: on estime justement le coût d'occupation à environ 100 milliards par an.

Une mesure contrastée de la proposition est l'obligation qu'auront les Américains de souscrire une forme de sécurité sociale, sous peine de subir des pénalités. Pour les Républicains il s'agit là d'une grave atteinte aux libertés individuelles. Or, la qualité de "l'option publique" n'étant pas encore claire, il n'est pas impossible d'imaginer que cette mesure serve les intérêts des grandes compagnies privées.

Enfin, un amendement introduit pour assurer le vote de la proposition restreint le financement de l'avortement aux cas de "viol, inceste, ou danger de mort pour la mère", ce qui a été vivement critiqué par les Démocrates soutenant les droits des femmes.

Il reste à présent à voir quelles modifications introduira le Sénat.

Sources:
The New York Times: Sweeping Health Care Plan Passes House
Le Monde: Feu vert pour la réforme du système de santé américain
BBC News: US House backs healthcare reforms

mardi 20 octobre 2009

Les Etats-Unis légalisent...

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Les Etats-Unis ont -de manière plus ou moins officielle- légalisé le cannabis à usage médical.

La Californie a déjà légalisé depuis 1996, mais cela a été fait en opposition aux autorités fédérales: ainsi donc les praticiens ou vendeurs qui cherchaient à exploiter la législation de l'Etat se voyaient confrontés aux agences fédérales telles que la DEA (Drug Enforcement Agency). A la demande du Ministère de la Justice du gouvernement Bush, la Cour Suprême avait d'ailleurs confirmé la non-validité de la loi californienne en 2005, ce qui en faisait un obstacle majeur à l'extension de cette mesure à d'autres Etats.

Arrive Obama. Fin février, son ministre de la Justice Eric Holder confirme que le gouvernement fédéral respectera désormais les législations locales sur la légalisation du cannabis médical. Reconnu pour ses propriétés anti-anxiolytiques et analgésiques, la marijuana est désormais catégorisée comme un médicament.

Ce sont à présent 14 Etats Américains qui ont pris des mesures pour l'usage médical du Cannabis. Et une quinzaine d'autres continuent à étudier des réformes législatives comparables -dont le très conservateur Texas!

Il faut dire que les "effets néfastes" du cannabis, souvent soulignés en France, sont en fait considérés comme étant "dans la fourchette des effets tolérés" pour un médicament par l'Institut de Médecine Américain. En d'autres termes, les effets secondaires sont suffisamment limités pour une utilisation à grande échelle. De l'avis des experts Américains, les risques à long terme sont quasiment tous liés à l'inhalation avec du tabac, ce qui peut être combattu notamment par l'utilisation d'un inhalateur adapté.

Deux raisons expliquent cette évolution. La première, temporaire, est liée à la situation économique des Etats Américains à cause de la crise financière. Cette légalisation assortie de taxes représente un revenu juteux en cette heure de rigueur budgétaire. La Californie peut ainsi tabler sur environ 220 millions de dollars par an de recettes fiscales.

La seconde est plus durable, puisqu'elle est liée à l'évolution progressive des mentalités. Il y a encore quelques années, Bill Clinton avouait en 1992 avoir fumé mais "pas inhalé". Par contraste, Obama a déclaré fin 2007 ne "pas comprendre cette phrase", et tout en parlant "d'erreur", de dire clairement qu'il "avait souvent inhalé, que c'était la le but de la manoeuvre". Tout en mettant en garde sur les dangers de dérapage, Obama a ainsi comparé le cannabis à la morphine.

Si la morale n'est plus un argument de poids, il reste cependant à voir l'évolution concrète. En Californie par exemple, le cannabis est facilement prescrit pour de l'anxiété, de l'insomnie ou même des troubles pré-menstruels. Les médecins peu scrupuleux prêts à prescrire de l'herbe à la demande ne sont pas rares. Or, si dérapages il y a, les conservateurs auront l'occasion de revenir sur ces mesures au nom de l'ordre et de la sécurité des citoyens.


Sources:
Le Courrier International n°988 (8-14 octobre 2009): Etats-Unis: le cannabis devient (presque) légal
The New York Times: U.S. Won’t Prosecute in States That Allow Medical Marijuana
The New York Times: Marijuana Licensing Fails to Chase the Shadows
MSNBC: Obama open to limited legalization

mardi 13 octobre 2009

L'étrange histoire des grippes aviaire et porcine...

Une connexion quelque peu étonnante entre Donald Rumsfeld, le Ministre de la Défense Américain entre 2001 et 2006 et les laboratoires Gilead et Roche, respectivement responsables de la découverte et de la commercialisation du fameux Tamiflu, jette le doute sur la réalité du danger lié à la grippe A.

Rumsfeld fut PDG des laboratoires Gilead entre 1997 et 2001, avant de rejoindre l'équipe de George W. Bush. Durant la présidence de ce dernier, les Etats-Unis mirent en place des dispositifs destinés à contrer une éventuelle épidémie due à de nouvelles souches de grippe ; à l'époque, il était bien sûr question de la grippe aviaire et non porcine. Ces dispositifs prévoyaient entre autres l'achat massif de Tamiflu si la menace d'une pandémie devait se préciser.

Gilead céda les droits d'exploitation du Tamiflu à Roche en 1996 en échange d'un pourcentage de 10% sur les ventes. Aujourd'hui la menace de la grippe porcine ou grippe A, a fait exploser les ventes de Tamiflu et donc le cours des actions de Roche et Gilead. On ignore à quel point Rumsfeld s'est enrichi grâce à cela ; selon CNN, il aurait consulté plusieurs avocats en 2005, dont notamment les conseillers juridiques du Pentagone et du Ministère de la Justice, avant de conclure qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêt et de conserver ses parts de Gilead.

Sans sombrer dans la paranoïa, il faut au moins admettre que les liens entre les industries pharmaceutiques et les politiques sont susceptibles d'avoir de fâcheuses conséquences, et sèment le doute sur la réalité d'une menace gripale.


Sources:
CNN-Money: Rumsfeld's growing stake in Tamiflu
Gilead: Donald H. Rumsfeld Named Chairman of Gilead Sciences
Gilead: Gilead Board of Directors Appoints James M. Denny as Chairman

samedi 10 octobre 2009

Obama, nobel de la paix 2

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Bien sûr l'annonce de ce Nobel a surpris, et surprend encore. Le prix Nobel de la paix, dans l'imaginaire collectif, demeure un encouragement moral et matériel destiné à des personnes en lutte, souvent opposés à des pouvoirs politiques qui les écrasent. Attribuer le Nobel à l'homme le plus puissant (et le plus célèbre) de la terre va donc à l'encontre de nos attentes.

Pourtant, il faut aussi percevoir la volonté derrière le comité, celle de promouvoir "la diplomatie et la coopération entre les peuples", un flambeau dont s'est targué le président Américain à maintes reprises. En prenant les discours d'Obama au pied de la lettre, le comité a donc lié sa crédibilité aux actions du président, mais l'inverse est également vrai. En langage simple, c'est une pression supplémentaire pour la Maison-Blanche, une obligation de résultats.

Obama ne s'y est pas trompé: sa réaction, parfaitement calibrée, montre sa volonté d'échapper à une nouvelle responsabilité, de ne pas être "enfermé". Estimant qu'il "ne le mérite pas", il a ainsi partagé (à mots cachés) son prix avec les opposants en Iran ou en Birmanie, et rappelé qu'il est le "commandant-en-chef d'un pays qui a une guerre à terminer".

Le prix n'a rien d'un cadeau: accusé d'être trop "colombe" par les Républicains, Obama a essayé depuis plusieurs mois d'équilibrer sa politique entre ses convictions personnelles et l'implication des Etats-Unis au Moyen-Orient. Un président Américain ne peut jamais être trop pacifiste ; bien au contraire, les opérations militaires ont toujours servi à booster la popularité, de Reagan (Grenade, Lybie) à W.Bush, en passant par Bush senior ou Clinton (Yougoslavie). Voila donc Obama promu président international, au même titre que Gorbatchev, Carter, Mandela... (ou même mère Theresa), et sommé de garder à l'esprit qu'il n'est pas juste le président des Etats-Unis d'Amérique, mais que sur ses épaules repose l'avenir de la paix dans le monde.

Au-delà du fait que l'importance des Etats-Unis dans l'échiquier mondial est à nouveau souligné, on ne saurait trop insister sur la dimension personnelle de ce prix. Obama pourra-t-il à présent mener une guerre en Afghanistan? Pourra-t-il bombarder l'Iran? Le comité Nobel a fait de lui, qu'il le veuille ou non, un espoir de progrès et de paix. Or, détail piquant qui semble être passé inaperçu dans les rédactions du monde, Obama a accepté. Cela n'a rien d'anodin. Il eut été tout à fait compréhensible qu'un président Américain en exercice, souhaitant conserver une image forte dans son pays, refuse un prix Nobel de la paix prématuré. Cette acceptation, de la part d'un politicien exceptionnellement intelligent, qui sait parfaitement manier les symboliques, semble bel et bien signifier au monde qu'il compte maintenir le cap et -dans la mesure du possible- concrétiser ses promesses.

Certains ont vu de la naïveté dans la décision du comité. Après tout, Obama est un politicien habile, et prendre ses discours au sens littéral peut paraître naïf. Mais le président du comité a écarté cette critique d'un "et donc?". Après tout, il a fait un premier pari qui a été gagné, puisqu'Obama a accepté, et ce en dépit des risques que cela implique pour lui dans son pays. Le second pari, à présent, c'est de voir le président des Etats-Unis prendre la dimension historique qu'on lui prédit.
On ne peut que l'espérer.

Sources:
Le Monde: Barack Obama, Prix Nobel de la paix : les raisons d'un choix
The New York Times: Surprise Nobel for Obama Stirs Praise and Doubts
The New York Times: From 205 Names, Panel Chose the Most Visible
The New York Times: The Peace Prize
Le Nouvel Observateur: Obama Nobel de la Paix : un "espoir" mais un "paradoxe total"

vendredi 9 octobre 2009

Obama, prix nobel de la paix

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"En tant que président, Obama a créé un nouveau climat dans la politique internationale", a déclaré le président du comité Nobel Norvégien, Thorbjoern Jagland.

Bien sûr, l'engagement d'Obama contre les armes nucléaires et le réchauffement climatique sont notables, sans parler des efforts faits dans les relations avec le monde musulman. Mais comme l'a souligné Lech Walesa, lui-même lauréat en 1983, les résultats ne sont pas encore probants. De plus, on se doit de rappeler que les Etats-Unis sont encore en guerre en Irak, et qu'Obama va sans doute décider de l'envoi de nouvelles troupes en Afghanistan. Même si Jagland et le comité estiment que l'effort d'Obama est comparable à ceux de Willy Brandt ou Mikhaïl Gorbatchev lorsqu'ils reçurent leurs prix, les sceptiques restent nombreux.

Alors, volé ce prix nobel? En tout cas, l'intéressé a répondu avec humilité aux prix et aux félicitations de rigueur des autres chefs d'Etat, et y voit "un appel à relever des défis". Reste à savoir ce qu'il fera du prix de 10 millions de couronnes (un peu plus d'un million d'euros).

Sources:
Le Monde: Barack Obama Prix Nobel de la paix
Le Monde: Barack Obama "étonné et touché" par le prix Nobel de la paix
The New York Times: Obama Says He’s ‘Surprised and Humbled’ by Nobel Prize

lundi 5 octobre 2009

Du contrat social

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Les mots ont fini par être lâchés dans un article du New York Times: le débat sur la réforme du système de santé Américain est une question de contrat social.

Les mots sont bien sûrs ceux de Jean-Jacques Rousseau, mais de manière générale le type de "contrat" à "souscrire" entre les individus et la société dans laquelle ils évoluent est une question au coeur de toute philosophie politique, et ce depuis la République de Platon.

Dans le monde anglo-saxon, on oppose ainsi plutôt Thomas Hobbes, pour lequel l'homme "loup pour l'homme" doit se soumettre aux lois de l'Etat pour sa propre sécurité, à John Locke, pour lequel l'Etat doit garantir la préservation des libertés "naturelles" de chacun.

On voit ici se dessiner deux grandes tendances Américaines, et ce dés les débats sur la Constitution en 1787. Les partisans d'un Etat fort, capable de garantir la sécurité de chacun, seront les "fédéralistes", auxquels s'opposeront les partisans de la liberté individuelle, les "anti-fédéralistes", dont l'opposition mènera d'ailleurs aux célèbres premiers amendements à la Constitution, le Bill of Rights garant des libertés fondamentales des Américains.

Quid de Rousseau, qui de son coté va plutôt influencer le modèle Français, et -dans une certaine mesure- nos voisins Allemands? Ce dernier verra plutôt dans la soumission à l'Etat un acte volontaire fondateur d'une République, cette dernière étant conduite par la volonté générale correspondant à un intérêt commun -par opposition aux intérêts particuliers. Pour Rousseau l'Etat est légitime car il représente le peuple, voir même en un sens est le peuple -une idée étrangère aux anglo-saxons qui ne font pas l'amalgame entre peuple et pouvoir.

Les trois grands types de contrat social étant posés, on peut maintenant voir en quoi le débat aux Etats-Unis nous paraît étranger: les Américains n'ayant pas notre concept typiquement Français de République, ils ne voient dans l'intervention de l'Etat qu'une restriction de leurs libertés. Cette intervention peut être faite au nom de la sécurité commune (le modèle de Hobbes), mais fera immanquablement perdre certaines libertés individuelles (liberté d'entreprendre ou liberté de choisir les prestations indispensables comme la santé ou l'éducation, dans le modèle de Locke).

Le système de santé dépend donc inextricablement du contrat social choisi. Dans une République -au sens Français du terme-, l'intérêt de chacun est garanti par l'Etat, lui-même représentant du peuple. Dans une fédération d'Etats comme les Etats-Unis, l'intérêt de chacun semble souvent mieux garanti par soi-même que par le gouvernement fédéral, d'autant que, pour Adam Smith, l’initiative privée et égoïste sera le moteur de l’économie et le ciment de la société.

In fine, ce sont donc deux libertés, ou plutôt deux droits qui semblent en contradiction l'un avec l'autre: le droit à la sécurité, défini par Hobbes, et le droit à l'entreprise privée -profitable- de Locke. En filigrane se trouve bien sûr la question de l'importance de l'Etat dans la vie des citoyens, puisque dans la conception anglo-saxonne, l'Etat est distinct du peuple; si l'Etat est trop interventionniste, on court le risque d'étouffer l'individu -et donc l'économie- et d'aboutir au totalitarisme.

A cela, c'est un libéral s'il en est qui a déjà répondu:
Dans les cas de maladie ou d'accidents, ni le désir d'éviter de telles calamités, ni les efforts fournis pour surmonter leurs conséquences ne seront généralement affaiblis si l'on fournit une assistance [...]. On peut donc argumenter avec force pour la mise en place d'un système universel de sécurité sociale assistée par l'Etat.


Dixit Friedrich Hayek, l'un des plus grands pourfendeurs du socialisme.


Sources:
The New York Times: The Public Imperative
Friedrich Hayek: La route de la servitude

samedi 26 septembre 2009

La question nucléaire

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La question nucléaire est à nouveau le centre de l'attention avec l'intervention récente de Mikhaïl Gorbatchev en personne dans le New York Times pour encourager les Etats-Unis à écarter le "stéréotype de la 'mauvaise' Russie" et à coopérer pour la réduction des armes nucléaires.
Coïncidence troublante, dans le même numéro, Kenneth Adelman, jadis nommé par Ronald Reagan à la tête de l'Agence Américaine pour le Désarmement (United States Arms Control and Disarmament Agency), en appelle à l'élimination totale des missiles nucléaires de portée intermédiaire (INF) comme les Etats-Unis et l'URSS l'avaient décidé en 1987.

Pourquoi ce bruit autour des armes nucléaires? Parce que le traité INF de 1987 a été mis à mal par les initiatives de George W. Bush et Vladimir Poutine. Avec la jeune présidence d'Obama, des officiels Américains et Russes tels que Gorbachev et Adelman, qui ont jadis mis fin à la Guerre Froide, veulent relancer la démilitarisation.

Celle-ci n'aura probablement pas lieu. A l'Est, l'influence de Vladimir Poutine rend improbable un réel désarmement de la Russie. A l'Ouest, les positions nationalistes demeurent aussi populaires et les mythes du "grand méchant monde" ("big bad world") ou les stéréotypes de la "mauvaise Russie" ("bad Russia") ou encore des omniprésents "terroristes islamistes" hantent toujours les Américains.

Pendant plus d'un siècle, les Américains ont usé d'un nationalisme périodique. Par cycles, leur patriotisme est poussé à l'extrême et conduit à des actions militaires au-delà de leurs frontières. Ces actions ne se font jamais menées au nom de l'impérialisme: elles sont conduites au nom de valeurs universelles, telles que le droit à la liberté ou à l'auto-détermination.

Mais surtout, elles sont faites contre une menace, réelle ou supposée. Les Etats-Unis, on a parfois déclaré, sont le seul empire s'étant construit "en réaction" à des menaces extérieures. Il n'y a pas de guerre Américaine sans casus belli ; il en va de la moralité de la nation, de son exceptionnalisme.

Car en réalité, quel ennemi, dans le monde d'aujourd'hui menace véritablement la sécurité des Etats-Unis? Pourquoi la première puissance militaire mondiale ne présiderait pas au désarmement international?
Peut-être parce que l'empire a besoin de ses armées. Au-delà de la question nucléaire se trouve la question de l'écrasante hégémonie Américaine. Pour la préserver, la meilleure stratégie reste le statu quo. Un homme comme Gorbatchev sait qu'il faut une forte volonté pour s'en libérer, et son appel à la coopération n'a rien de naïf. Mais Obama risquera-t-il l'hégémonie Américaine? S'il essayait il serait véritablement un leader international d'une rare stature. La suite au prochain épisode...

Sources:
The New York Times: Two First Steps on Nuclear Weapons (Mikhaïl Gorbatchev)
The New York Times: A Long-Term Fix for Medium-Range Arms (Kenneth Adelman)

jeudi 24 septembre 2009

Sarcastique? Vous croyez?

Et dans le débat sur le système de santé Américain, un soutien de quelques célébrités à "l'option publique" d'Obama, sur le mode sarcastique.

"Quelque chose de terrible est en train de se produire", commence la vidéo. "Ce qui est terrible est que les directeurs des compagnies d'assurances sont injustement punis".

Quelques réflexions du genre: "Les polices d'assurance sont détaillées au point de rejeter les demandes pour des détails comme des fautes de frappe. Est-ce qu'on mérite d'être opéré quand on fait une faute de frappe? Je crois pas non."

Will Ferrel demande notamment "Pourquoi donc Obama essaye-t-il de réformer le système de santé quand les compagnies d'assurance s'en sortent si bien à faire des milliards de profit?".

Pourquoi, effectivement...

dimanche 20 septembre 2009

La guerre des étoiles n'aura pas lieu ... ?

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La guerre des étoiles n'aura pas lieu. Non pas l'histoire de George Lucas, mais la rivalité américano-russe pour militariser l'espace. Obama semble enterrer pour de bon cette vision, avec l'appui sans équivoque de son ministre de la défense Robert M. Gates.

La légende veut que l'histoire remonte à 1979 et une visite par Ronald Reagan du NORAD (Commandement de la Défense Aérospatiale de l'Amérique du Nord), au cours de laquelle le futur président prit conscience de la vulnérabilité des Etats-Unis à une attaque par missiles balistiques intercontinentaux (ou ICBM). La doctrine de dissuasion nucléaire par "destruction mutuelle" ne le satisfaisant pas, Reagan aurait conçu (avec l'aide de savants enthousiastes) le projet de baser des contre-mesures dans l'espace.

Annoncé au grand public en 1983 -avec un minimum de consultations préalables-, le projet IDS (Initiative de Défense Stratégique) est très vite surnommé "guerre des étoiles" car il paraît relancer la course aux armements, cette fois dans le domaine spatial.

Très vite décrié par l'URSS et tout particulièrement Mikhaïl Gorbatchev -qui n'aura de cesse de vouloir étouffer le projet-, il sera par la suite opposé avec la même véhémence par la Russie et tout particulièrement Vladimir Poutine. Il faut dire qu'un tel projet pourrait -à long terme- donner un avantage stratégique considérable aux Etats-Unis en les plaçant eux et leurs alliés à "à l'abri" de toute attaque nucléaire.

Au début du 21ème siècle c'est au tour de George W. Bush d'injecter une nouvelle vie au projet en déployant des systèmes en Alaska et en Californie, tout en planifiant le déploiement d'une plateforme anti-missiles en Pologne et un radar en République Tchèque. L'ennemi supposé est officiellement l'Iran, mais la Russie y voit une manière de limiter sa sphère d'influence en Europe de l'Est, tandis que la Corée du Nord ou la Chine peuvent être la cible des systèmes coté Pacifique.

La "réforme" Obama propose de déployer un système anti-missiles mobile dans un premier temps, avec des intercepteurs plus flexibles. Un système ainsi basé sur des navires de la marine Américaine pourrait protéger non seulement l'Europe de l'Est, mais également Israël. Ironiquement, ce changement de politique semble protéger le Moyen-Orient ou l'Europe plutôt que les Etats-Unis.

Bien que l'aspect spatial de l'IDS semble avoir quasiment disparu (certains satellites pourraient jouer le rôle de senseurs, mais aucun missile ou laser ne sera déployé en orbite), il est bon de noter que le principe de défense stratégique reste au final soutenu par l'administration Obama. Si certains Républicains y voient une concession à la Russie, Robert M. Gates et les chefs d'état-major soulignent qu'un tel système pourra être déployé "7 ans plus tôt" que le système soutenu par l'administration Bush, et ainsi être une défense plus crédible contre le programme nucléaire Iranien.

Bien sûr, le projet actuel vise plutôt des missiles de portée intermédiaire, tels que la Corée du Nord en possède déjà, et que l'Iran pourrait déployer dans un avenir proche. On lui reproche de laisser les Etats-Unis vulnérables si l'Iran réussissait à déployer des ICBM dans les dix ans à venir -un scénario qui reste discutable, et réfuté par Gates.

Ainsi donc, ce n'est pas l'IDS qui est remis en cause, mais la stratégie à adopter: pour les Républicains la défense stratégique doit viser avant tout à protéger les Etats-Unis contre les attaques intercontinentales. L'administration Obama cherche plutôt à en faire une défense mobile "locale" contre des missiles à plus courte portée, ce qui peut rassurer à la fois la Russie (dont les ICBM gardent leur potentiel dissuasif), et les alliés Américains (Israël en premier lieu, à l'évidence).

Voila donc un débat cousu de fil blanc. Si la guerre des étoiles n'aura pas lieu, l'IDS de Reagan est donc en train de devenir une réalité. Il faut dire que le projet est juteux pour le complexe militaro-industriel Américain, qui aura reçu en 25 ans des centaines de milliards de dollars ; Obama ne semble pas complètement immunisé à son influence. On aurait tort de croire que cette décision a quoi que ce soit de pacifiste ; au contraire elle ne sera que bénéfique pour l'influence Américaine.

En marge du débat, certains esprits chagrins continuent à pointer du doigt les échecs répétés de tels systèmes. Force est de constater qu'au jour d'aujourd'hui, ils sont loin d'être au point. Mais demain, ils pourraient considérablement impacter la géopolitique mondiale si certains pays sont effectivement protégés des attaques extérieures. Pis, ils pourraient rendre l'arme atomique plus "utilisable" aux yeux de certains faucons de Washington ou de Tel Aviv.

On a cru le spectre de l'armageddon écarté avec la fin de la guerre froide, mais celui-ci semble avoir la vie dure. Dark Vador n'a qu'à bien se tenir...

Vidéos:
Discours d'Obama
Discours de Robert M. Gates

Sources:
The New York Times: White House Scraps Bush’s Approach to Missile Shield
The New York Times: New Missile Shield Strategy Scales Back Reagan’s Vision
The New York Times: Missile Sense
The New York Times: A Better Missile Defense for a Safer Europe

samedi 19 septembre 2009

Blacks - Whites - Gray



Selon l'ancien président Jimmy Carter, l' "animosité envers Obama est très largement due au fait qu'il est un homme noir". Usant de son expérience de Démocrate du sud des Etats-Unis, Carter affirme que nombre d'Américains blancs continuent à voir un homme noir comme "incapable diriger le pays".

De fait, des insultes racistes sortent régulièrement du camp Républicain. Pour autant, qualifier les critiques du président de racistes est un raccourci que n'apprécieront pas certains opposants. C'est un pavé dans la marre lancé par Carter, et à n'en pas douter, une manière habile pour étouffer l'opposition à la réforme du système de santé Américain.

Pour Charles M. Blow, du New York Times, le racisme a de nombreuses formes, et l'une d'entre elles est de pouvoir "justifier des sentiments négatifs envers les noirs par des arguments autres que racistes". En d'autres termes, on peut s'opposer aux réformes de l'administration Obama à cause de préjugés, conscients ou pas ; mais tous les opposants aux réformes ne le font pas par racisme pour autant.
Dans ce cas, comment savoir si l'on est réellement raciste? Dans l'Amérique d'aujourd'hui, il n'y a plus de noirs ou de blancs, il n'y a plus que des gris.

The New York Times: Here We Go Again, par Charles M. Blow.
The New York Times: The Scourge Persists , par Bob Herbert.

dimanche 13 septembre 2009

You lie!

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Une mini-anecdote qui pourrait prêter à sourire, si elle n'était pas aussi triste: en plein discours devant le Congrès Américain pour défendre la réforme du système de santé, un Représentant de la Caroline du Sud a interrompu le président pour lui crier un "vous mentez" (you lie) assassin.

Le cri était une réponse à l'affirmation d'Obama que les immigrants illégaux ne bénéficieraient pas d'un système de santé public. Le Congrès a par ailleurs déjà validé plusieurs amendements pour s'assurer que cela ne serait pas le cas.
Selon Wikipedia il y aurait entre 7 et 20 millions de résidents "illégaux" aux Etats-Unis. Ceux-ci viennent en général d'Amérique latine et sont exploités par des employeurs peu scrupuleux.



Le Représentant, Joe Wilson, auparavant peu connu, est maintenant une célébrité nationale. Les contributions à ses campagnes ont explosé, et son exclamation est devenue un cri de ralliement pour les conservateurs Américains.

Hier, c'est par dizaine de milliers que ceux-ci sont venus manifester contre ce qu'ils perçoivent comme un abus de pouvoir du gouvernement. Pour beaucoup, le financement d'un système de santé public équivaut à fouler au pied les principes fondateurs des Etats-Unis, en premier lieu l'individualisme et la libre entreprise.

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Ironiquement, le même jour, Obama était accueilli en triomphe dans le Minnesota, où la population semblait encline à écouter les arguments du président.

Le débat a de quoi laisser plus d'un Français sceptique, dans la mesure ou la couverture santé est un acquis de longue date dans le pays. Mais pour les Américains, en particulier depuis Reagan, il ne va pas de soi que chacun doit contribuer à protéger les membres les plus vulnérables de la population. Pour les manifestants à Washington, le gouvernement "travaille pour le peuple", mais n'a pas à gérer le moindre aspect de la vie des citoyens. Cette méfiance vis-à-vis des politiques n'a rien de partisan, et les Républicains sont autant visés que les Démocrates: l'Etat doit être réduit à son rôle de représentant de la nation.

L'agitation est cependant bienvenue pour les parlementaires Républicains, qui s'opposent avec force aux mesures sociales envisagées par l'administration Démocrate. Plus encore par les compagnies d'assurances, qui craignent pour leurs parts de marché, ou les professionnels de santé, qui pensent que le coût des soins pourrait être amené à baisser, et donc leurs salaires.

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Ainsi, les intérêts particuliers dominent-ils encore le débat. Pour certains, la liberté consiste à faire confiance au secteur privé, à la libre entreprise et au jeu de la concurrence. Pour d'autres, le secteur privé ne tient pas compte de l'intérêt public et doit donc être mis en concurrence ou remplacé par une "option publique" (public option) pour protéger les nécessiteux.

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On aurait tort de croire la question purement Américaine: au-delà des frontières, la question reste posée dans la plupart des pays occidentaux, dans une certaine mesure à chaque élection. Ironie du sort, la même réponse n'est pas forcément vraie partout.

Sources:
The New York Times: Boy, Oh, Boy
The New York Times:Thousands Rally in Capital to Protest Big Government
The New York Times:Thousands Rally in Minnesota Behind Obama’s Call for Health Care Overhaul
The New York Times:The Fading Public Option

vendredi 11 septembre 2009

La difficile réforme du système de santé Américain

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C'est le grand sujet du moment aux Etats-Unis: la tentative de réforme du système de santé par l'administration Obama. Peu de sujets sont aussi aptes à amplifier l'énorme fossé idéologique entre la droite et la gauche Américaine.

Pour une minorité, Obama représente le socialisme, et donc l'ennemi. A tel point que certains parents d'élèves ont demandé à ce que leurs rejetons ne regardent pas à l'école le discours à la nation sur l'éducation prononcé par le président le 8 septembre. Les conservateurs vont jusqu'à critiquer un "culte de la personnalité" naissant, et une "endoctrination" socialiste. Ce discours n'a pourtant rien d'anormal, les présidents s'adressant souvent aux jeunes élèves à la rentrée pour les encourager à bien étudier.

Mais les conservateurs n'en démordent pas: Obama est trop gauchiste, et donc "anti-Américain". Une controverse est même apparue autour de l'authenticité de son certificat de naissance, certains (dont des sénateurs Républicains) affirmant qu'il est "douteux", et que le président serait en fait né au Kenya, le rendant inéligible. Les "birthers" ont encore mauvaise presse, mais ils sont le symptôme d'une méfiance extrême de l'extrême-droite vis-à-vis du président.

Il n'est donc guère étonnant que la réforme de santé ait cristallisé toutes les émotions, et divise aujourd'hui le pays. De fait, deux visions radicalement différentes s'affrontent.

En premier lieu, il faut souligner les dysfonctionnements du système actuel. Non seulement les mutuelles Américaines sont très chères (et donc inabordables pour la plupart), mais les sociétés d'assurance usent de nombreuses tactiques pour refuser de couvrir les personnes "à risque" -notamment les personnes souffrant de maladies graves et/ou de longue durée. Au final le système est donc très rentable, mais une portion non-négligeable (environ 16%) de la population ne dispose d'aucune couverture santé. Les Américains sont généralement assurés par leurs entreprises, et une minorité bénéficie des programmes sociaux, "Medicare" pour les personnes âgées, et "Medicaid" pour les plus pauvres et les handicapés.

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La réforme Obama vise donc à corriger ces défauts en créant une assurance publique ("public option") qui concurrencerait les sociétés privées tout en s'occupant de ceux qu'elles délaissent, permettant ainsi d'obtenir la mythique "couverture universelle" déjà rêvée par les Roosevelt.

Mais la réforme initialement voulue est en difficulté. La réaction des conservateurs aura été d'une violence remarquable. Les critiques les plus notables sont:
- L'interférence du gouvernement dans les questions de santé pourrait empêcher chacun de choisir son médecin ou son traitement. La liberté dans la façon de se soigner disparaîtrait.
- Faire partager les coûts de l'assurance santé universelle est "anti-Américain". En d'autres termes, les dépenses n'ont pas à être socialisées, et les plus démunis (par exemple les immigrants illégaux) ne devraient pas dépendre de la société pour leur couverture.
- Avec une couverture universelle, le gouvernement serait en mesure de décider qui peut recevoir des soins. On parle De commissions qui décideraient de la vie ou de la mort des malades, et condamneraient les individus les moins productifs, notamment les personnes âgées et les handicapés mentaux. Ajoutons ici que l'expression "death panels" est de Sarah Palin.
- La réforme ferait baisser la qualité des soins, sur le modèle Canadien ou Britannique, ces deux derniers modèles étant fortement (et injustement) décriés.

En fait, le problème majeur demeure celui du financement. A l'origine les impôts sur les plus fortunés auraient dû financer le système, mais il n'en sera rien, le Congrès ayant rejeté la possibilité. Obama semble obligé de financer sa réforme par les fonds du Medicare et Medicaid, ce qui ne manquera pas de continuer à alimenter les critiques.

En toile de fond, les sociétés d'assurance souhaiteraient vivement que la réforme se contente d'obliger tous les Américains à souscrire une mutuelle. Leur lobbying est intense, et tous les arguments sont bons pour entraver la réforme Obama telle qu'elle est voulue initialement.

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Les Républicains, en présentant Obama comme socialiste, ont réussi à prendre le dessus dans le débat: la réforme ne dispose plus du soutien de la majorité de la population. Mais le président a encore quelques atouts, notamment un Congrès dominé par le parti Démocrate. Le bras de fer ne fait que commencer...

Sources:
The New York Times: The Dime Standard
The New York Times: Immigrants, Health Care and Lies
The New York Times: Health Care Reform and ‘American Values’
The New York Times: Obama, Armed With Details, Says Health Plan Is Necessary
The New York Times: Some Parents Oppose Obama School Speech

samedi 25 juillet 2009

Welcome to the club (?)



La question raciale semble relancée aux Etats-Unis avec l'arrestation du professeur Henry Louis Gates Jr., un éminent spécialiste à Harvard du racisme et de la ségrégation.

Gates, un vénérable monsieur de 58 ans, ayant du mal à ouvrir une porte difficile, se faisait aider par son chauffeur de taxi lorsqu'une dame du quartier qui passait par là les prit pour des cambrioleurs -a priori car ils étaient tous deux noirs. La police ainsi prévenue aurait ensuite brusqué Gates, et ce bien qu'il ait prouvé qu'il était chez lui, pour enfin l'amener au poste.

L'anecdote fait beaucoup de bruit aux Etats-Unis, notamment car Barack Obama lui-même a cru bon de souligner que la question raciale était encore très vivace en Amérique, déclarant notamment qu' "il n'était probablement pas nécessaire de passer des menottes à un homme d'âge mûr, qui se sert d'une canne et qui se trouve chez lui." Dans le New York Times ou ailleurs, chacun y va de son commentaire ou de sa petite expérience, souhaitant ainsi au professeur la "bienvenue au club" des hommes noirs estimant être victimes de discrimination (66% aux Etats-Unis).

La question centrale semble être de savoir ce qui s'est produit entre l'officier de police, le sergent James M. Crowley, et le professeur Henry Louis Gates Jr. durant les quelques minutes où ils sont restés seuls. Gates accuse Crowley de racisme, Crowley accuse Gates de comportement injurieux. Initialement, l'affaire semblait être une simple histoire de racisme policier. Mais le rapport de police et le témoignage du second policier (noir, incidemment) qu'il contient, présentent plutôt Gates comme acariâtre et hautain, refusant de coopérer ou de donner des informations justement parce qu'il était noir et professeur à Harvard. Le "vous ne savez pas à qui vous avez affaire" ne trompe pas, et laisse à penser qu'il ne s'agit peut-être pas que de racisme.

Entretemps Obama a quelque peu nuancé ses commentaires initiaux (qui décrivait tout de même la réaction de la police comme "stupide"), et appelé Crowley pour discuter de l'affaire. Au final, ce n'est pas tant l'anecdote qui a son importance que le bruit qu'elle a causé.

Car tout le monde semble s'être empressé d'interpréter, de commenter, de juger, comme si finalement cette polémique rassurait aussi. Pour les partisans de la tolérance ou de la justice sociale, il s'agit d'insister sur les progrès qu'il reste encore à faire après et malgré l'élection présidentielle. De manière générale, la couleur de peau a visiblement encore son rôle à jouer.

Sources:
The New York Times, 23 juillet 2009: "Obama Wades Into a Volatile Racial Issue".
Le Monde, 23 juillet 2009: "La mésaventure d'un professeur noir ravive la question raciale aux Etats-Unis".
The New York Times, 24 juillet 2009: "As Officers Face Heated Words, Their Tactics Vary".
The New York Times, 24 juillet 2009: "Welcome to the ‘Club’"".
Le Monde, 24 juillet 2009: Barack Obama ranime le débat sur la question raciale".

mercredi 24 juin 2009

SHAFR Summer Institute

Et ce dimanche je m'envole pour Chicago!
Je rejoindrais ensuite l'Université de Madison dans le Wisconsin pour participer à une sorte d'atelier (Institute) de la SHAFR (Société des historiens de la politique étrangère Américaine) avec d'autres doctorants et chercheurs de plusieurs pays. Au menu beaucoup de Guerre Froide puisque nous étudierons de la crise des missiles de Cuba jusqu'à la chute du mur de Berlin.
This sunday I'll be flying to Chicago!
I will then reach the University of Madison, Wisconsin, to attend the 2009 SHAFR (Society for Historians of American Foreign Relations) Summer Institute with other graduate students and scholars from several countries. On the menu a lot of Cold War since we'll study from the Cuba missile crisis to the fall of the Berlin wall.


SHAFR Summer Institute website

mardi 16 juin 2009

Le mouvement des universités: épilogue

Quelques épilogues sur la grève des universités françaises en 2009, avec deux excellents décryptages trouvés sur internet.

En premier lieu un article de Marianne, qui résume bien les grandes questions du débat qui n'a pas eu lieu:
Faut-il abandonner le projet humaniste et au profit de quel autre alternatif (s’il en existe) ? Faut-il l’infléchir ? Dans quel sens et à quel prix ? Comment transmettre et que transmettre, y a-t-il même transmission possible [...]?


Mais mieux encore cet article d'Arrêt sur Images (oui, l'ancienne émission de la 5ème), qui, en analysant un reportage du JT de France2 met les pendules à l'heure. Triste conclusion:
[Le JT] est plongé dans "la fiction travailliste", celle qui veut nous faire croire que le destin de l’humain s’accomplit et s’achève dans le fait d’avoir un emploi. Aussi le journaliste peut-il s’exclamer, dans une intonation réprimant mal son enthousiasme : "les études pour les études, c’est fini". Youpi ! On avait peur, en effet, qu’il vînt à l’esprit de quelques égarés que les nourritures spirituelles – notamment celles qu’on appela jadis, allez savoir pourquoi, "les humanités" - pussent avoir par elles-mêmes un quelconque intérêt, et que l’humanité pût se donner à elle-même d’autre fin que le travail.


Au final, la phrase de fin, ce pourrait être "l'Université est morte, vive l'Université". Pour rappel, même Wikipedia définit encore l'Université comme un "établissement d'enseignement supérieur dont l'objectif est la production, la conservation, et la transmission du savoir". A l'évidence, cette version la de l'Université a vécu: bienvenue dans le monde réel, celui de la rentabilité.

dimanche 14 juin 2009

Save our CEOs

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La prochaine création de Michael Moore s'intitulera "Save our CEOs" (sauvez nos PDG), et critiquera manifestement l'usage de fonds publics pour le sauvetage de compagnies privées.

On peut aussi deviner dans cette bande-annonce un peu particulière une critique de la façon dont les médias Américains peuvent se concentrer sur l'impact économique de la crise (banques & entreprises) au détriment de l'aspect humain (les nombreux sans-emploi ou sans-abri qu'a causé la récession).

La transcription et le trailer:

Salut c'est Michael Moore
Au lieu d'utiliser ce temps pour vous parler de mon nouveau film, j'aimerais prendre un moment pour vous demander de me rejoindre pour aider nos concitoyens Américains.
La récession économique a causé du tort à beaucoup de gens, des gens qui se sont vu obligés de dépendre des aides du gouvernement, mais nos services sociaux ne peuvent pas tout faire. C'est pour cela que je vous demande de mettre la main à la poche et de donner un coup de main.
Des ouvreuses vont descendre les allées pour recueillir vos donations pour Citybank, Bank of America, AIG, Goldman-Sacks, JP Morgan, et une foule d'autre banques et entreprises nécessiteuses.
S'il vous plaît donnez généreusement.
Je sais ce que vous pensez: j'ai déjà donné l'agent du plan de sauvetage (qu'a fait voté l'Administration Obama Ndt). Et je le sais bien. Mais même si vous avez déjà donné par le passé, donnez encore plus. Cela vous fera vous sentir... Bien.

Hi I’m Michael Moore.
Instead of using this time to tell you about my new movie, I’d like to take a moment and ask you to join me in helping our fellow Americans.
The downturn in the economy has hurt many people, people who’ve had no choice but to go on government assistance, yet our welfare agencies can only do so much. That’s why I’m asking you to reach into your pockets right now and lend a hand.
Ushers will be coming down the aisles to collect your donations for Citybank, Bank of America, AIG, Goldman-Sacks, JP Morgan, and a host of other needy banks and corporations.
Won’t you please give generously.
Now I know what you’re thinking: I already gave the bailout. And I know you did. But even if you’ve given in the past, give some more. It’ll make you feel... Good.


jeudi 28 mai 2009

L'American Enterprise Institute ou le monstre à cent têtes

Alors que le président américain Barack Obama, avec l'appui de sa Secrétaire d'Etat Hillary Clinton, milite pour un monde sans armes nucléaires, il se trouve des voix pour critiquer une telle approche.

On pourrait être en droit d'être surpris: l'arsenal américain hérité de la Guerre Froide est à la fois coûteux et inutile dans le monde d'aujourd'hui. Pour commencer les missiles intercontinentaux (ICBMs), destinés à frapper l'Union Soviétique jusqu'au début des années 1990 sont peu adaptés au contexte géopolitique actuel de multipolarité. Surtout, cet arsenal souffre du problème bien connu de redondance, autrement dit, la multiplication des armes atomiques de la "triade" (sur bombardiers, sous-marins et missiles) est totalement inutile au principe de dissuasion.

Alors pourquoi un ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'ONU, John R. Bolton, s'oppose-t-il à la politique d'Obama dans le New York Times, arguant qu'une réduction des armes atomiques peut "affaiblir" les Etats-Unis et même "profiter" à la Russie? Que supprimer les missiles de la Guerre Froide pour ne conserver que les armes nucléaires tactiques de moindre puissance serait cesser de protéger la population américaine?
On peut se demander dans quel monde vit Mr Bolton pour concevoir tant de menaces à la superpuissance américaine.

Pour comprendre l'article de Mr Bolton, il faut regarder où il travaille. Et là tout s'éclaire, puisqu'il est l'une des cent têtes de la tristement célèbre American Enterprise Institute (AEI), l'une des "boîte à idées" les plus conservatrices des Etats-Unis.

L'AEI fut fondée en 1943 pour être le porte-parole du grand patronat auprès du gouvernement, et tout particulièrement les firmes Bristol-Myers et General Mills. Dans un premier temps elle traite avant tout de politique intérieure et vise à promouvoir activement le libre-échange et la liberté d'entreprise en s'opposant aux régulations étatiques des administrations démocrates. Dans les années 70 cependant, appuyée par des entreprises du complexe militaro-industriel, l'AEI va s'associer à d'autres organisations conservatrices telles que le Committee on the Present Danger (CPD) ou le Center for Strategic & International Studies (CSIS) pour dénoncer une sous-estimation de la menace soviétique.

L'argument est cousu de fil blanc. Bien que l'expansion communiste soit en apparence indiscutable, les Etats-Unis ne sont pas directement menacés par l'Union Soviétique. Cependant, l'augmentation radicale du budget militaire prôné par l'AEI, le CPD, et le CSIS vise à imposer la suprématie du libre-échange et des théories économiques libérales. C'est ainsi que ce plaidoyer pour la puissance américaine va survivre à la Guerre Froide: sous l'administration de George W. Bush, ce sont Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowicz qui se chargent d'avancer les programmes de l'AEI au sein du gouvernement américain, et donc d'utiliser les attentats du 11 septembre 2001 pour augmenter le budget militaire américain jusqu'à des sommets inégalés.

D'autres "têtes" de l'AEI sont connues. Citons Richard Perle, surnommé autrefois le "Prince des Ténèbres" lorsque, sous l'administration Reagan, il cherchait à faire échouer toute négociation avec l'URSS, ou bien encore Joshua Muravchik, qui affirme que la démocratie peut être imposée par la force à l'étranger.

Les projets de l'AEI sont multiples. Par son soutien inconditionnel au libéralisme économique, l'AEI cherche à créer une zone de libre-échange américano-européenne, et use de son influence pour accélérer l'intégration européenne. Par intégration, entendons non seulement l'intégration des pays européens de l'ancien bloc de l'Est, mais également la mise en place de politiques néo-libérales au sein de l'Union Européenne. C'est la "Nouvelle Initiative Atlantique" fondée en 1996 à Prague. Bien entendu, le "non" à la constitution européenne a permis de ralentir momentanément cette intégration.

De manière comparable, l'AEI a bien évidemment soutenu l'invasion de l'Irak afin de créer une zone démocratique au Moyen-Orient qui contrebalancerait l'influence iranienne et soutiendrait Israël. Ajoutons que l'Iran est désormais une cible de choix pour l'AEI qui cautionnerait volontiers une intervention militaire américaine.

L'AEI a d'autres facettes moins connues. Par exemple, dans les années 80 elle a sponsorisé un rapport pour soutenir l'industrie du tabac en arguant que le coût entraîné par le tabagisme (en matière de soins médicaux) était comparable à ceux de l'alcool ou du sucre, et qu'il n'était donc pas de la responsabilité des fabricants de cigarettes. N'oublions pas non plus la tentative de décrédibiliser l'idée du réchauffement climatique: l'AEI a notamment offert un prix de 10,000$ à tout scientifique qui pourrait contredire le rapport de l'ONU sur la nécessité de réduire les gaz à effet de serre.
Ces activités s'inscrivent dans une politique de défense des libertés des entreprises (liberté de tuer ou de polluer en l'occurrence).

En résumé, l'AEI est donc un monstre à cent têtes, qui vise autant à préserver l'hégémonie américaine -par la force militaire principalement- qu'à faire avancer le libéralisme économique dans le monde. Pour ce faire, l'organisation est financée par une multitude de firmes cherchant à éviter qu'un gouvernement américain puisse mener une politique nuisant à leurs intérêts. Elle collabore avec une nébuleuse d'organisations concurrentes ou complémentaires visant (directement ou indirectement) à promouvoir les intérêts américains et le libéralisme -notamment le CSIS.

Voici donc comment une idée qui paraitra certainement noble à beaucoup (l'abolition des armes nucléaires) constitue une menace pour d'autres (menace à l'hégémonie américaine).

Tout cela paraîtra fort distant. Après tout, l'AEI, le CPD ou le CSIS sont des organisations américaines, il est donc normal qu'elles soutiennent la puissance et l'idéologie des Etats-Unis. Mais parmi les centaines de noms sur les listes de membres de l'AEI ou du CSIS se trouve une certaine Christine Lagarde, nommée ministre de l'économie de la France en 2007. A l'ère de la mondialisation, personne n'échappe au monstre à cent têtes...

lundi 18 mai 2009

SAES

La semaine dernière j’ai eu le privilège de présenter ma thèse
au congrès annuel de la SAES (Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur) qui a aidé à financer mon voyage à Washington DC. La présentation en anglais peut être téléchargée ci-dessous :
Last week I had the privilege to present my thesis at the annual congress of the SAES (Society of Higher Education Anglicists) which helped fund my trip to Washington DC. The presentation in English may be downloaded below:


Voir le Fichier : SAES.doc

lundi 11 mai 2009

L'humour de Barack Obama

Un peu d'humour du président américain, une sorte de tradition qu'on pourrait remonter aux blagues de Ronald Reagan. En l'occurrence il s'agit d'un discours prononcé au dîner annuel des journalistes de la Maison-blanche (l'Association des correspondants de la Maison Blanche) auquel se rendent aussi de nombreuses stars et personnalités politiques.

Obama n'a pas hésité à se moquer des républicains, en expliquant d'emblée qu'il "ne souhaitait vraiment pas être là ce soir" mais que c'était là "un autre problème hérité de George W. Bush". Visant également l'ancien vice-président Dick Cheney qui "écrit ses mémoires: comment tirer sur des amis et torturer des gens", Obama a ensuite déclaré que le "parti républicain ne peut pas être renfloué" au même titre que les banques américaines.
L'auto-critique était aussi présente puisqu'Obama déclarait "être le seul président à avoir nommé trois secrétaires au commerce en aussi peu de temps" et que ses 100 prochains jours seraient une telle réussite qu'il "les bouclerait en 72, et se reposerait au 73ème".
La meilleure blague a sans doute visé Hillary Clinton avec qui "il n'a jamais été aussi proche" ; "en fait, dés qu'elle est revenue du Mexique elle [m'a] pris dans ses bras et fait un gros bisou, m'a dit que je devrais y aller aussi".

dimanche 3 mai 2009

Obama +100

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Le buzz continue autour de Barack Obama à l'occasion de la fin de ses 100 premiers jours à la Maison-Blanche. A l'instar d'une célébrité du show-business, les photos du président "dans l'intimité" font le tour du monde à travers -notamment- internet.

Les critiques continuent à pleuvoir, en particulier ses dépenses budgétaires ou sa poignée de main avec Chavez, qui seraient symboliques d'un "socialisme" suspect aux yeux de nombreux américains.

Ou pas? Alors même que l'opposition paraît souvent importante, 81% des américains continuent à soutenir leur président alors que seulement 10 à 15% semblent être opposés à sa vision du rôle du gouvernement. En fait, Michael Moore l'avait déjà souligné: les américains sont parfois moins américains qu'on pourrait ne le penser. Pour la majorité, ils soutiennent l'aide aux plus démunis, la mise en place de mesures ou d'organisations fédérales pour soutenir la solidarité, l'éducation ou la culture. Globalement, seule une minorité est fermement religieuse au point d'opposer l'avortement ou le mariage homosexuel.

Alors pourquoi cette impression que les Etats-Unis acceptent mal Obama alors que tous les indicateurs démontrent le contraire? Sans doute parce parmi cette minorité de mécontents on trouve des magnats des médias et des journalistes ou des intellectuels influents, en d'autres termes des "faiseurs d'opinion" dont les idées sont largement écoutées. Cela fait déjà quelques décennies que les médias ont fortement tendance à véhiculer une image plutôt conservatrice de l'Amérique sous couvert de patriotisme ou de traditionalisme, et ce alors même qu'ironiquement ils sont accusés précisément de faire l'inverse. Certes, le New York Times semble encore fermement ancré à gauche, mais la pléthore de journaux, magazines ou chaînes de télévision aux mains de l'éthos conservateur n'est pas en diminution.

En d'autres termes, les 10 à 15% d'anti-Obama font beaucoup de bruit, tout simplement. Ils cherchent à provoquer des débats sur des mesures dont la nécessité devrait pourtant être irréfutable (comme sur l'économie). Leur succès avec l'opinion publique est pour l'heure limitée, mais tout faux pas d'Obama sera du pain béni pour leur campagne de dénigrement.

Le bruit autour du "+100" d'Obama est donc artificiel, voir largement superflu. Mais il montre ce qu'il se passe quand les médias, au lieu de s'astreindre à une éthique strictement professionnelle, cherchent à soutenir des points de vue finalement très politique. Car si le New York Times est si "gauchiste", à l'inverse le Wall Street Journal ou la National Review sont donc bien "droitistes". Et si l'ex-conseiller de "W" Bush, Karl Rove, juge qu'Obama "polarise" les Etats-Unis "plus que n'importe quel autre président depuis 40 ans", peut-être est-il tout simplement trop rapide à généraliser une polarisation essentiellement médiatique. "Diviser l'Amérique", voila une accusation sérieuse pour un président ; fort heureusement pour tout le monde, elle est également gratuite.

Sources:
The New York Times: "How Character Corrodes", par Maureen Dowd.
The New York Times: "Enough With the 100 Days Already", par Frank Rich
The Wall Street Journal: "The President Has Become a Divisive Figure", par Karl Rove

samedi 2 mai 2009

Chaises musicales à la Cour Suprême

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Ces derniers jours l'on a appris la retraite de l'un des neuf juges de la Cour Suprême, David Souter. Un progressiste, volontiers qualifié de "gauchiste" aux Etats-Unis, celui-ci profite de la présidence d'Obama pour être remplacé par quelqu'un partageant ses penchants politiques.

Les médias nous affirment que cela ne changera pas grand chose, puisque Souter sera remplacé par un autre progressiste. Mais ce jeu de chaises musicales nous rappelle qu'il s'agit là du premier choix d'Obama quant à la Cour Suprême. Et si ce dernier demeure aussi populaire qu'actuellement, sa présidence pourrait durer jusqu'en 2016.

En 2016, Antonin Scalia, l'un des juges les plus conservateurs, atteindrait l'âge très respectable de 80 ans. Idem pour Anthony Kennedy (nommé par Ronald Reagan), considéré comme relativement "neutre", étant tantôt conservateur, tantôt progressiste. Quant à John Paul Stevens, jugé lui très "à gauche", il atteindrait même 96 ans!

En d'autres termes, ce n'est sans doute là que la première des nominations de Barack Obama, qui devrait être suivie par d'autres. A la clé, on peut prédire une évolution de la Cour Suprême favorable aux démocrates et à un certaine libéralisation des moeurs et des mentalités américaines.

Qui sait ce qu'une Cour Suprême vraiment progressiste pourrait décider? Restrictions sur le port d'arme, abolition de la peine de mort... ? Les paris sont ouverts. Dans tous les cas, Obama aura l'opportunité de marquer durablement le pays.

Fausses abstractions (2)

Nous sommes à l'ère du politiquement correct, ou pour être plus exact, de la responsabilité individuelle. Certes, on reconnaît encore le droit à l'individu de se laisser influencer ou corrompre de l'extérieur, mais globalement, il appartient désormais à chacun de maîtriser pleinement sa vie.

Cela se traduit par un ensemble de petites mesures, ou de petites phrases anodines: "Fumer tue", "Une seconde perdue en station = retard sur toute la ligne", "Au moins 5 fruits et légumes par jour"... etc. On n'y ferait presque plus attention, et pourtant à chaque instant nous voila informés, sollicités, et donc responsabilisés. Nulle femme ne doit ignorer les risques de cancers du sein ou de l'utérus, le fumeur doit savoir qu'il risque sa vie à chaque bouffée, tous doivent manger équilibré pour rester en bonne santé... etc. Et bien sûr cela s'applique aussi à la vie professionnelle (ne faut-il pas savoir se vendre, être zélé et disponible?) ou politique (nul ne saurait ignorer la loi, tous doivent savoir que la Chine est un pays liberticide, ou que des enfants meurent de faim à chaque instant... ). Perdu dans cette jungle, on finit par devoir choisir ses combats.

Dans cette nouvelle ère il faut maintenant assumer non seulement ses choix et ses actes mais aussi ses pensées et ses idées. Quel genre d'homme peut ignorer la faim dans le monde, la souffrance dans les pays "en voie de développement", la pauvreté, le chômage, la crise? A chacun de faire quelque chose, d'avoir "conscience" des problèmes actuels, d'être prêt à lutter, à combattre. Il faut prendre position, voter utile, faire pression sur les politiques. L'individu, au centre du système doit maintenant gérer lui-même la société, prendre conscience de la pleine mesure de ses actes et de ses idées.

Et pourtant, dans le même temps, l'on vit à l'ère de la mondialisation, où les décisions sont prises au niveau national, européen, ou mondial. Prendre conscience, oui, mais à quelle fin? L'impact individuel n'a jamais été aussi limité, et pourtant il appartient à chacun d'être responsable. On ne peut ignorer les fausses abstractions du quotidien. Lorsqu'une épidémie se déclare, chacun doit contribuer à son niveau à la combattre ; pour respecter l'environnement chacun doit faire son geste, recycler, contribuer, penser "vert".

Conséquence du libéralisme, l'individu doit apprendre à s'assumer, mais aussi à assumer son manque de pouvoir. Au coeur du système l'individu, mais sans pour autant remettre en cause le modèle lui-même.

Car l'effet pervers, finalement, c'est de nier la responsabilité des organisations ou des institutions normalement garantes du bien-être de la population. Voila que le chômeur est seul responsable de sa situation, que le malade a ignoré les avertissements, que la qualité de vie au quotidien est l'affaire de tous. Bien sûr, la société ne peut plus se permettre le fardeau de l'inconscience ou de l'irresponsabilité des hommes. Aux hommes d'être plus adultes après tout.

Puisque c'est aux hommes d'êtres adultes, voila les politiques et les entreprises dédouanées de tout soupçon. Ce n'est pas aux fabricants de cigarettes de limiter les additifs dangereux, ni aux entreprises de fabriquer des produits de qualité, ni aux politiciens de mener des politiques responsables. Non, c'est bien aux individus de savoir faire les bons choix.

Dorénavant, lorsque le système va mal, il ne faut plus pointer du doigt ou accuser, mais se demander ce qu'on peut faire soi-même. "Ne demandez pas ce que le gouvernement peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour le gouvernement", disait Kennedy. Mais Reagan a complété par "Le gouvernement n'est pas la solution, le gouvernement est le problème". Dans une démocratie véritablement libérale, l'état n'a plus la responsabilité du quotidien des citoyens, mais ce sont les citoyens qui sont responsables du quotidien de l'état.

Dorénavant, lorsque le système va mal, il ne s'agit pas de le remettre en question, mais d'être résigner à y voir une fatalité. Chacun n'est-il pas libre? Dans ce meilleur des mondes possibles, on ne peut plus exiger l'impossible de nos gouvernements.

Chacun doit être intelligent, responsable, adulte, dans l'intérêt de tous. Une belle idée oui, mais dans ce cas, si vous ne l'êtes pas, personne ne viendra vous aider. Que voulez-vous, c'est le monde moderne! Vous ne pensez quand même pas qu'on va faire les choses à votre place?

Sources:
Le Monde diplomatique: "Métro, boulot, parano. Tous Coupables", par Mathias Roux. Mai 2009.

jeudi 30 avril 2009

The Specter of Success

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La grande nouvelle politique du moment aux Etats-Unis ce n'est pas tant la grippe dite "porcine", que le récent retournement de veste du sénateur Arlen Specter, ayant décidé de passer chez les démocrates après une longue carrière de républicain.

Pourquoi est-ce que c'est important? Parce que cette défection risque fort d'empêcher les républicains de mettre en place la moindre obstruction parlementaire au Sénat, connue sous le nom de "filibuster". Le filibuster permet en effet à un parti minoritaire de retarder le passage d'une loi, notamment en prononçant des discours interminables (la technique fut initiée par un discours de plus de 22h) ; mais cette technique est impossible si le parti majoritaire dispose de 60 sièges sur les 100 du Sénat.
En d'autres termes, elle peut donner aux démocrates un pouvoir législatif accru, bienvenu en cette période ou Barack Obama a toujours besoin de plus de soutien du Congrès.

Arlen Specter est un politicien chevronné. A 79 ans, ce sénateur de Pennsylvanie a décidé de changer de parti pour être assuré de sa réélection à son poste lors des prochaines élections d'ici quelques mois. Jugé trop modéré par le parti républicain, il risquait fort de ne pas être le candidat choisi par son parti. La solution: une trahison qui, si elle paraît opportuniste, est aussi symbolique d'une radicalisation idéologique des républicains. Pour Olympia Snowe, une autre républicaine modérée, il s'agit là d'un échec de son parti à garder sa diversité.

De tels retournements de veste ne sont pas rares aux Etats-Unis. On se souvient du sénateur Jeffords quittant aussi les républicains en 2001. Mais ils illustrent toujours la faiblesse d'un parti, que ce soit par son image auprès des électeurs ou par les dissensions internes. Specter a jugé qu'il n'avait plus sa chance au sein des républicains aujourd'hui ; cela veut aussi dire que la Pennsylvanie semble déjà acquise aux démocrates. Au-delà du calcul politique, on se demande si le Grand Old Party peut encore survivre à Obama.

Sources:
The New York Times: "Specter Switches Parties; More Heft for Democrats", par CARL HULSE et ADAM NAGOURNEY
The New York Times: "We Didn’t Have to Lose Arlen Specter", par OLYMPIA SNOWE
The New York Times: "The Amtrak Connection", par GAIL COLLINS

Obama aux cotés de Specter:

dimanche 26 avril 2009

Fausses abstractions

On se dit souvent que les idées sont avant tout des abstractions, et qu'il n'y a guère de raison d'appliquer une morale extérieure à ses croyances personnelles. En d'autres termes, on se veut seul juge de la qualité de sa pensée. La liberté est avant tout individuelle ; toute contrainte sur cette liberté de penser est une oppression aliénatrice qui est le propre des régimes totalitaires.


Aussi séduisant que puisse être ce raisonnement, il trouve hélas ses limites, comme le montrent quelques études de cas.

- Libertés individuelles
On perçoit toujours les libertés individuelles comme des droits, des symboles positifs d'une société évoluée et démocratique. Aux Etats-Unis cependant, une liberté individuelle fondamentale demeure le droit de posséder des armes à feu. Sur le papier, l'autodéfense a de quoi être légitimée ; en France aussi le gouvernement a récemment envoyé des signaux forts pour protéger ce concept de "légitime défense". Dans ce cas la responsabilité du pouvoir de donner la mort est donc placée au niveau individuel ; l'individu devient juge, jury et bourreau. Qui irait défendre le droit de chacun de se défendre contre les criminels, qu'ils soient voleurs, violeurs, ou juste des agresseurs en quête de violence?

Derrière cette liberté pourtant, les dangers ne manquent pas. Si le massacre du lycée Columbine paraît symbolique d'une violence périodique, la réalité est tout autre: chaque année 12,000 personnes sont tuées par balles aux Etats-Unis dont 1,900 mineurs. Et si ce chiffre vous paraît abstrait, essayez d'imaginer ce que serait une pile de 1,900 cadavres d'enfants, du nourrisson à l'adolescent. Si l'on commence à rajouter les 17,000 suicides (dont 800 mineurs), et les quelques 70,000 blessés par balle annuels, le prix d'une telle liberté n'a rien d'une abstraction.



- Conservatisme et patriotisme
La protection de la culture, des traditions et des valeurs d'un pays, sont souvent présentées comme une nécessité absolue. Pour tout en chacun il s'agit de protéger notre pays tel qu'on le connaît des influences ou des menaces extérieures. Ce conservatisme peut se traduire par des mesures sociales diverses: immigration restreinte et/ou choisie, laïcité imposée par la loi, voir la défense d'institutions ou d'organisations à caractère hautement symboliques. Il n'y a pas en apparence de justification digne de ce nom pour imposer la tolérance ou l'ouverture d'esprit: chaque pays a ses traditions, et c'est aux nouveaux arrivants de s'y adapter plutôt que l'inverse. La loi existe aussi pour défendre les valeurs fondamentales d'une nation, tels que les droits de l'homme, de la femme ou de l'enfant. La culture du "politiquement correct" et du "bien-pensant" transforme notre pays en quelque chose que la majorité ne désire pas.

Un tel état d'esprit a des dangers plus évidents, car défendre avec acharnement certaines valeurs, c'est souvent en ignorer d'autres. Si la tolérance est difficile à défendre, c'est qu'elle ne trouve sa légitimité que dans les conséquences de l'intolérance. Le patriotisme aveugle mène à l'incitation à la haine: haine culturelle, religieuse ou raciale. Cette haine ensuite a ses conséquences bien concrètes: insultes, agressions, meurtres. Un peuple patriotique est trop souvent un peuple violent, car l'intérêt national est alors placé au-dessus du respect de l'autre et de la différence.

Et que dire de la défense de l'intérêt national par les autorités? Détentions arbitraires, passages à tabac, et (c'est récent paraît-il) la torture. Défendre un pays justifie-t-il l'électrocution ou la quasi-noyade de suspects? Le droit de protéger certaines valeurs peut ainsi mener à la négation de l'humanité de terroristes potentiels. Lorsque les américains comprirent la réalité de Guantanamo et de la torture le choc fut amer car les risques de débordement évoqués par certains (des anarchistes ou des radicaux, avait-on affirmé!) s'avérèrent être oh combien réels.


- Liberté politique
Ah, la liberté politique, grandeur de nos "démocraties" "libérales" grâce à nos gouvernements représentatifs! Et de se dire que l'on est libre de choisir ses dirigeants, de chercher celui qui défendra nos idées! Voila une liberté assurément essentielle, incontournable. Et si on le souhaite, se désolidariser de la communauté, et demander à chacun de devenir pleinement responsable. Chacun n'a-t-il pas les moyens de s'occuper de lui-même? Pourquoi faudrait-il que certains payent pour d'autres, encore et toujours? La générosité si on le souhaite, voilà le cadeau le plus précieux de nos pays occidentaux.

Le droit d'être individualiste, indifférent aux évolutions de nos sociétés, libre de ne pas contribuer à une solidarité dont profiteront toujours certains parasites, c'est le principe du néo-libéralisme aujourd'hui. Mais de telles politiques aussi ont leurs conséquences. Creusement des inégalités, paupérisation et inculture des masses, déterminisme accentué par la non-mobilité sociale. La liberté politique, c'est parfois la possibilité d'être lâche ou cynique. Car si voter est une responsabilité de citoyen, faire preuve d'empathie ou de solidarité n'est-il pas une responsabilité d'être humain?

La politique a fini par traduire en idées certains penchants volontiers égoïstes de l'individu, par rendre acceptable le cynisme et l'insensibilité ; à l'échelle de nos sociétés c'est finalement réduire les individus à des acteurs autonomes et indépendants les uns des autres. Et dans cette indépendance, détruire toute justification ou raison d'être d'un tissu social digne de ce nom. Indépendant et responsable, l'individu? Alors à quoi bon la communication et l'échange, puisqu'in fine n'existeront plus que des convergences d'intérêt? Dans l'excès de liberté politique on trouve la possibilité de voter la disparition de la politique... Et d'oublier que la liberté de l'individu ne peut remplacer le pouvoir de se gouverner (kratia) du peuple (démos) ; autrement dit, que la démocratie enlève nécessairement une liberté individuelle: la liberté d'être désintéressé.


Fin de la Guerre Froide = ?

La fin de la Guerre Froide par l'effondrement de l'Union Soviétique a, paraît-il, consacré la victoire de la démocratie libérale comme le meilleur système de gouvernement, justifié la relation entre le capitalisme et la liberté de l'Homme, montré l'échec du communisme et même (selon Milton Friedman), celui du socialisme. En somme, le libéralisme a prouvé être le mode de pensée du nouveau millénaire, et permis à l'individu d'être enfin au centre de la société et de recouvrer toutes ces libertés perdues.

Mais si l'individu du futur doit assumer la gestion de la société, sans pouvoir de l'état, sans contrainte sur sa pensée ou ses instincts, sera-t-il encore responsable? Si l'intolérance et l'égoïsme sont des droits, quid des devoirs?
On prétend toujours donner plus de libertés à l'homme, valoriser l'individu plutôt que l'état, l'individu plutôt que le groupe. Mais le propre de l'homme c'est de savoir survivre en étant un animal social. A donner certaines libertés, on oublie un peu vite que toutes ne sont pas bonnes à prendre et que le libéralisme peut être aussi libérateur que destructeur -l'homme n'est-il pas un loup pour l'homme?

Si chacun doit être libre de penser comme il le souhaite, encore faut-il, pour certains, apprendre le pouvoir des idées. Sur le papier, certains principes peuvent apparaître justes et légitimes, et certains droits relever du bon sens commun. Les avantages peuvent paraître immédiats et justifiés, tandis que les inconvénients sont des abstractions, bien loin du quotidien et de son confort personnel. Il n'est guère facile de prendre conscience de ce qu'on cautionne réellement chaque jour, d'assumer la responsabilité non seulement de soi-même, mais aussi d'une société ou chacun s'en contente. Quel individu sera vraiment capable de gérer non seulement sa vie, mais s'assurer qu'il protège l'environnement, qu'il n'exploite aucun enfant du Tiers-Monde, qu'il n'a pas, indirectement, provoqué la souffrance ou la mort de son prochain?

Lorsque certaines idées sont mises en pratique, certaines abstractions vite ignorées se révèlent être soudain des problèmes très concrets, dont souffriront les autres -on espère. Mais il est souvent trop tard quand on mesure l'ampleur du désastre et l'horreur très réelle d'une fausse abstraction.


Sources:
The New York Times: "A Culture Soaked in Blood", par Bob Herbert. 24/04/09
The New York Times: "The Banality of White House Evil", par Frank Rich. 25/04/09