mercredi 8 décembre 2010

Facing Change

Une initiative artistique qui marquera sans doute la photographie: un collectif de photographes et d'écrivains américains a décidé de documenter les "difficultés actuelles" des Etats-Unis.
A souligner en particulier: l'album d'Anthony Suau sur les victimes de la crise des subprimes en Floride.
Le site: FacingChanges.Org

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lundi 15 novembre 2010

Mr Bush goes to Washington...



Décidément, George W. Bush n'en finira jamais de faire parler de lui. Alors qu'on le pensait à la retraite pour de bon, ses mémoires le feraient presque revenir sur le devant de la scène.

Pour beaucoup, les mémoires semblent confirmer ce qu'on pensait déjà de l'homme. Sa façon cavalière et instinctive de prendre des décisions importantes, son feu vert pour l'usage de la torture, ou encore sa vision fragmentaire de l'Irak de Saddam Hussein ou de la crise financière qui s'annonçait à la fin de son second mandat.

Mais pire encore, Bush est maintenant accusé de plagiat et de falsification.

L'accusation de falsification vient de Gerard Schröder qui rapporte qu'une conversation entre Bush et lui au sujet de l'Irak a été déformée. L'Allemagne est ainsi accusée par Bush d'avoir "trahi sa confiance".

L'accusation de plagiat vient elle du Huffington Post, un journal publié exclusivement sur internet. Ce journal, ouvertement proche de la gauche américaine, relève de troublantes ressemblances entre certains passages des mémoires de Bush et des extraits de livres publiés précédemment par des collaborateurs. On note tout particulièrement un extrait supposé relater l'inauguration du président Afghan Hamid Karzai alors que Bush... n'y a jamais assisté. Bush est également accusé d'avoir plagié un certain nombres de journalistes, et tout particulièrement le livre de Bob Woodward Bush at War.

Cette accusation de plagiat débouchera-t-elle sur un procès? Dans la mesure ou les plagiés sont tous plus ou moins tributaires de l'ex-président pour leur propres oeuvres, on peut en douter.

Ironiquement, Bush déclare "ne pas se soucier des perceptions" à ce stade, arguant que le livre est plutôt destiné aux historiens. Il est pourtant loin d'être certain que cela changera l'image de sa présidence dans les décennies à venir...


Sources:
The Huffington Post: George Bush Book 'Decision Points' Lifted From Advisers' Books
CBS News: Bush Lying in Memoir, Says Ex-German Leader
Le Monde: La presse américaine sévère avec les Mémoires de George W. Bush

mercredi 3 novembre 2010

Victoire républicaine

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Un mot sur la victoire annoncée des Républicains aux mid-terms d'hier. Bien que le parti d'Obama essuie un revers, celui-ci est à nuancer de plusieurs manières.

Pour commencer la situation est loin d'être inhabituelle pour un premier mandat présidentiel. Le mouvement de balancier des électeurs existe aux Etats-Unis comme ailleurs, et le parti d'opposition peut facilement gagner des points en période difficile, et plus encore si le parti au pouvoir a mené une réforme difficile et/ou impopulaire.

Ensuite, les Républicains sont loin d'enregistrer une victoire totale. Si la Chambre des Représentants leur est désormais acquise, il n'en est pas de même du Sénat, ce qui lui enlèvera donc tout pouvoir. En parallèle, les Démocrates parviennent à sauver les meubles dans de nombreux Etats, et même à gagner la gouvernance des Etats de New York et Californie.

L'impopularité de l'action d'Obama, et en particulier la réforme du système de santé, n'est pas si évidente. Si les électeurs ont manifesté leur inquiétude devant les dépenses de l'Etat, ils sont une large majorité à ne pas réclamer le retrait de la réforme phare d'Obama, et donc à ne pas véritablement soutenir les positions du tea party. Il s'agit donc plutôt d'un vote "alarmiste", cherchant à manifester l'inquiétude devant la situation économique, que d'un vote "sanction", cherchant à pénaliser le président.

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La volonté des Américains de "revenir vers le centre" semble indéniable. Il est peu probable cependant qu'elle ait des conséquences positives, les deux partis se préparant pour une cohabitation difficile qui devrait déboucher sur un immobilisme politique susceptible d'être particulièrement dangereux pour les mesures économiques. Par ailleurs, la victoire des Républicains signifie qu'ils ne seront aussi tenus pour responsables de la situation aux prochaines élections de 2012.

En fait, étrangement, la situation est relativement banale d'un point de vue politique. Certains analystes ont parfois trouvé étrange qu'Obama commence son mandat par sa réforme la plus ambitieuse et la plus controversée. Mais une connaissance fine de la politique américaine semble bien lui donner raison. Non seulement la réforme du système de santé résistera à la victoire Républicaine d'hier, mais les Démocrates ont toutes les chances de pouvoir reprendre la Chambre des Représentants en 2012.

Si Obama a pris un pari, celui-ci est gagné.


Sources:
The New York Times: G.O.P. Captures House, but Not Senate
The New York Times: In Republican Victories, Tide Turns Starkly
The New York Times: Republican Party Time
Le Monde: Les républicains majoritaires à la Chambre, les démocrates conservent le Sénat

dimanche 31 octobre 2010

Les "anti-tea party" maintenant...

Les modérés descendent à leur tour dans la rue pour railler les tea parties. A quelques jours des mid-term elections, de nombreux Américains n'ont pas hésité à envoyer un signal fort pour contre-attaquer les conservateurs.

Les analystes prédisent une défaite probable des Démocrates au Congrès, qui perdraient au moins la Chambre des Représentants, mais qui ont leurs chances en revanche pour conserver le Sénat.

On peut donc s'attendre à un blocage politique aux Etats-Unis, mais il est de coutume que le parti au pouvoir essuie un revers à mi-mandat.

A cette occasion, Le Monde nous donne de très bonnes photographies et analyses.





mercredi 27 octobre 2010

La métaphore comique du mois...

Le prix revient à Obama qui décrit l'économie américaine comme une voiture que les Républicains auraient conduit dans le fossé, et qu'ils n'aident pas à la remettre sur la route aujourd'hui...



mercredi 6 octobre 2010

Deux articles...

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Une juxtaposition intéressante dans Le Monde d'il y a quelques temps.

D'une part "Pourquoi nous sommes des économistes atterrés" par Philippe Askenazy et André Orléan (CNRS), Thomas Coutrot (Attac) et Henri Sterdyniak (OFCE - Sciences Po) qui rebutent le néo-libéralisme en ces termes:
Le logiciel "néolibéral" est toujours le seul présenté comme légitime, malgré ses échecs patents. Fondé sur un paradigme qui présuppose l'efficience des marchés notamment financiers, il prône de réduire les dépenses publiques, de privatiser les services publics, de flexibiliser le marché du travail, de libéraliser le commerce, les services financiers et les marchés de capitaux, d'accroître la concurrence en tout temps et en tout lieu...[...] Ces mesures sont irresponsables d'un point de vue politique et social, et même au strict plan économique, puisqu'elles vont maintenir les pays européens dans la récession. [...] En tant qu'économistes, nous sommes atterrés de voir que ces politiques sont toujours à l'ordre du jour et que leurs fondements théoriques ne sont pas publiquement remis en cause.
[Notons que cette analyse est, dans ses grandes lignes, partagée par les prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz et Paul Krugman]

D'autre part "Se réconcilier avec la "valeur travail"" par Robert Rochefort, sociologue et député européen MoDem, pour qui les troubles actuels viennent d'un divorce entre les français et le travail:
Le refus de travailler plus longtemps n'est rien d'autre que l'expression de la lassitude voire du désarroi face au travail lui-même tel qu'il est vécu dans notre pays. Cela vient des évolutions récentes et se nourrit de l'ambiguïté des courants philosophiques qui ont construit notre pensée au fil de l'histoire. [...] D'un côté, les pays libéraux, où chacun doit par son travail faire prospérer ses talents. [...] De l'autre, une conception plus nuancée dont la France est le pays emblématique où cohabitent vision critique et principe de réalité avec, pour chaque individu, une position qui dépend de sa situation face à l'emploi. [...] Le travail doit redevenir pour le plus grand nombre l'un des pôles enrichissants de la vie personnelle. Lorsqu'on juge que "la vraie vie est ailleurs", et c'est souvent le cas, le travail est un échec et l'on souhaite s'en libérer le plus tôt possible. Le véritable projet pour demain, c'est de refonder le travail comme acte créateur pour tous, parfois même source de bonheur comme contrepartie de l'effort et de l'abnégation qu'il nécessite.

Ces deux articles sont intéressants car ils montrent deux grands courants de pensée qui s'affrontent à l'heure actuelle, tout en se plaçant sur deux plans légèrement différents.
La première analyse est essentiellement politique et économique: elle s'attaque au dogme libéral et cherche à protéger l'Etat-providence contre les réformes actuelles en s'opposant à la rigueur budgétaire.
La seconde est exclusivement sociologique: elle dépeint l'opposition aux réformes comme un malaise social, provenant notamment d'une relation complexe (et négative) des français au travail.

Le premier paradigme tourne donc autour du sauvetage (ou de la destruction) de l'Etat-providence, et est repris en première page dans le Courrier International du 23 au 29 septembre dernier. Il oppose la social-démocratie (incarnée par l'historien britannique Tony Judt) au libéralisme (incarné par le journaliste économique Anatole Kaletsky).

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Le second paradigme est plus difficile à définir, tout en étant particulièrement bien instrumentalisé par la droite. Il relève d'une société qui, ayant du mal à se définir par des valeurs positives, va avoir tendance à se définir par ce qu'elle rejette. Ce malaise, dont la France n'a pas l'exclusivité loin de là, est le propre des sociétés modernes dans laquelle les individus peinent à se construire une identité collective. Peuvent être mis en cause une défiance face à la mondialisation (voir à la construction européenne), une perte de confiance en les politiques, et une remise en questions des principes et des valeurs nationaux.

Il faut dire que les repères traditionnels s'effacent les uns après les autres. Traditionnellement à tendance socialiste, la France et sa population vivent mal une transition vers une économie et une société "de marché" dans lequel l'individu doit s'assumer sans le soutien assuré de la collectivité en cas de difficultés. S'ensuivent donc des craintes et des oppositions face à cette évolution présentée comme inéluctable, mais aussi une crise identitaire quant au sens même de la nation, puisqu'elle n'est plus protectrice des citoyens.

Dans ces débats, ce qui est surtout frappant, c'est le manque de clarté, et tout particulièrement chez les politiques. A gauche comme à droite on évite soigneusement de lier les grandes questions politico-économiques de notre époque aux problèmes sociaux et identitaires, comme si finalement les réformes et la crise économique existaient dans un univers abstrait, et que l'identité française n'était que question d'immigration ou d'intégration, et non de solidarité sociale.

Au-delà de la facilité, il y a aussi un opportunisme: à l'UMP, on flatte l'électorat de l'extrême-droite en espérant que les réformes seront ainsi digérées dans le climat négatif ambiant, au PS on cache pudiquement son adhésion au néo-libéralisme derrière des critiques sans substance, puisque sans bagage théorique. Si le paysage politique et social est à la fois vide de constructif et plein de "débats" superficiels, c'est bien que la gauche n'a pas encore proposé "sa" vision de ce que peut être la France, son alternative à la vision "droitiste".

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L'alternative devra pourtant apparaître quelque part. Si l'Europe rend difficile une opposition frontale au libéralisme économique, elle n'implique pas un renoncement complet de la solidarité sociale "à-la-française". Bien au contraire, redéfinir cette solidarité, ses principes, ses possibilités, et ce même dans l'adversité, c'est aussi ça redéfinir la France. Face à l'individualisme et l'autonomie (self-reliance) prônés par le libéralisme, on peut encore chercher des solutions dans le collectif.

La Grande-Bretagne de David Cameron semble vouloir ainsi créer une "big society" dans laquelle les compétences de l'Etat seraient transférées à des collectivités ou des associations locales, basées sur... le volontariat. Autrement dit, de remplacer les fonctionnaires par des bénévoles. Ou comment (par)achever la mise à mort de l'Etat-providence, et vider de son sens le concept même de nation.

La France de N.Sarkozy prend le même chemin, mais plus timidement, du fait même de l'impopularité des libéraux dans notre pays. Reste que l'idée d'une "autre société", fut-elle "big" à-la-Cameron ou "great" à-la-Lyndon Johnson, a ses mérites si elle permet effectivement de redéfinir l'idée même de collectivité. Mais plutôt que de recréer une société parallèle, une reconquête des structures locales (de la municipalité à la région) par l'activisme politique des individus, permettrait déjà de redonner un sens au collectif.

On tombe dans le paradoxe de nombreux pays développés: bien souvent les populations perdent progressivement leur intérêt pour la politique, et leur confiance dans leurs représentants. En temps de crise, ces attitudes se retournent contre eux par l'intermédiaire de réformes préparées hâtivement (dans l'opportunisme des crises), et traduisent souvent plus l'adhésion des élites au dogme libéral plutôt que la recherche de l'intérêt des populations, justifiant ainsi largement la défiance au politique.

Pour briser le cercle vicieux, la première étape serait donc de redéfinir l'action citoyenne. D'une part, un activisme collectif a des chances (au moins) d'influencer les partis politiques. D'autre part, si les populations sont réellement attentives aux décisions politiques (et non par le simple intermédiaire des grands médias), cette attention incitera les représentants du peuple à être dignes de leur fonction.
Utopique? Certes. Mais chaque grève, chaque manifestation, chaque symptôme du malaise, augmentent les chances de voir apparaître une alternative citoyenne à la "politique politicienne" incapable d'adresser les problèmes de la population.


Sources:
Le Monde: Pourquoi nous sommes des économistes atterrés
Le Monde: Se réconcilier avec la "valeur travail"
Le Monde: Joseph Stiglitz dénonce les politiques d'austérité menées en Europe
Le Nouvel Observateur: Le nouveau malaise français
Le Figaro: Le plan de Cameron pour alléger l'État
Mediapart: La société selon David Cameron

mardi 5 octobre 2010

Regards croisés sur le 11 septembre

Cette semaine je serai au colloque du laboratoire LERMA à Aix-en-Provence pour le colloque intitulé "Regards croisés sur le 11 septembre" où j'aurai l'honneur (et la lourde tâche) d'introduire la partie sur les dérives institutionnelles, autrement dit d'être le premier à parler!

Le programme sur le site de l'Université de Provence.

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Ma présentation s'intitulera "Le 11 septembre comme acte de guerre" en référence à ce gros titre de USA Today du 12 septembre 2001, et retracera la vision des attentats comme un casus belli permettant de nouvelles politiques intérieures et extérieures pour les Etats-Unis.
Au-delà de l'aspect purement politique, elle s'attachera à insister sur le traumatisme des images qui s'est ajouté au nombre des victimes pour faire du 11 septembre une déclaration de guerre.

dimanche 3 octobre 2010

Un peu d'humour... (?)

Avec cette vidéo de Christine O'Donnell, candidate des Républicains au siège de sénateur du Delaware. O'Donnell, soutenue notamment par Sarah Palin ou la National Rifle Association, est entre autres célèbre pour ses campagnes en faveur de l'abstinence sexuelle. On la retrouve donc dans cette vidéo à défendre l'idée que la masturbation est interdite par la bible.



Cela serait sans doute drôle si cette membre du Tea Party Movement n'était pas finalement une candidate sérieuse, et susceptible d'avoir un jour une influence politique très concrète.

Les "Tea Partiers" sont aujourd'hui reconnus comme étant une façade populiste (et populaire) pour l'apparition d'un nouveau mouvement ultra-conservateur financé entre autres par les frères Koch ou Rupert Murdoch (de Fox), en d'autres termes le mouvement est piloté par des capitaines d'industrie désireux de combattre l'administration Obama et ses politiques.

Les raisons principales en sont simples: O'Donnell, comme la plupart des candidats de la droite "économique" souhaite avant tout combattre les impôts pour laisser plus de possibilités d'investissement aux entreprises. On comprend l'intérêt qu'elle peut avoir pour les industriels. Notons aussi, que de tels mouvements existent aussi en Europe. Par exemple "Le Cri".

La popularité d'O'Donnell n'a pas à surprendre. Si ses prises de position contre l'avortement, la pornographie ou la théorie de l'évolution peuvent étonner en France, ce sont des classiques pour la droite américaine, particulièrement résurgente sous la présidence Obama.

Au-delà de l'aspect presque comique de ce possible "troisième parti", il faut se rappeler qu'en Europe aussi la droite a recours à des thèmes "classiques" pour conquérir ou conserver le pouvoir. Citons notamment l'immigration ou le terrorisme, qui font toujours recette auprès de l'électorat populaire.

Sources:
The New York Times: The Very Useful Idiocy of Christine O’Donnell
The New York Times: Third Party Rising
Mediapart: Pire que Sarah Palin ? Christine O'Donnell !

dimanche 12 septembre 2010

America is NOT at war...

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Enfonçant encore un peu le clou, Barack Obama a à nouveau pris position pour la tolérance religieuse à l'occasion de l'anniversaire de 9/11.

"En tant qu'américains nous ne sommes pas, et ne serons jamais, en guerre contre l'Islam", a déclaré le président.

Une telle prise de position est importante car elle tranche avec la tendance de la droite chrétienne américaine à s'opposer à l'Islam et aux musulmans, aux Etats-Unis et dans le monde. Pour beaucoup, il s'agit de protéger la "tradition" chrétienne des Etats-Unis mais, pour une minorité d'extrémistes, le conflit fondamental entre les chrétiens et les musulmans est le prélude au Jugement Dernier et au retour du Christ.

Cette position tranche aussi avec la tendance de la droite américaine à chercher un ennemi. Au lendemain de la fin de la Guerre Froide, l'ennemi soviétique fut remplacé par l'Irak de Saddam Hussein. Au lendemain du 11 septembre 2001, il fut remplacé par le terrorisme, et tout particulièrement le terrorisme islamique, avant d'être à nouveau supplanté par l'Irak en 2003.

The man who speaks of the enemy is the enemy himself.
Bertolt Brecht

L'image d'un pays en guerre est souvent profitable aux plus fervents nationalistes, qui sont généralement classés "à droite" car proches du parti Républicain, mais dont le patriotisme transcende en fait les divisions politiques traditionnelles (on se souvient que les néo-conservateurs étaient à l'origine des Démocrates). Ce patriotisme excessif donne une mission et une raison d'être à l'exceptionnalisme américain ; accessoirement il donne du travail au Pentagone et au complexe militaro-industriel.

Le fait qu'Obama prenne ses distances avec la rhétorique belligérante des impérialistes est bien sûr rassurant. Pour beaucoup (comme Thomas Friedman le chroniqueur du New York Times), les Etats-Unis n'ont de toutes façons plus les moyens d'exercer leur suprématie au niveau mondial à la suite de la crise économique de 2009.

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Mais il y a toujours, et en particulier dans les périodes économiques difficiles, ceux qui voient dans la haine et le conflit des solutions -ou des exutoires- aux difficultés nationales.
Stigmatiser les différentes, souligner l'altérité (l'autre), diviser, attiser les tensions déjà existantes, sont autant de stratégies pour les opportunistes en quête de pouvoir, de publicité ou simplement, d'un but, d'une légitimité impossible à atteindre par d'autres moyens. Aux Etats-Unis et en Europe, les mouvements de la haine s'agitent, menaçant d'infléchir les politiques dans des directions inavouables. Il est plus facile de trouver des boucs émissaires que des solutions aux problèmes économiques.

Les choix d'Obama ne sont pas forcément ceux qui lui rapporteront le plus de voix aux démocrates lors des prochaines élections législatives de mi-mandat. Mais ce sont des choix courageux, qui révèlent un leadership déterminé à ne pas succomber aux facilités des "guerres" contre le voisin, quel qu'il soit, à définir l'identité nationale par la tolérance et le respect et non par l'exclusion et l'individualisme.
On en serait volontiers envieux.



Sources:
The New York Times: On Sept. 11 Anniversary, Rifts Amid Mourning
The New York Times: Is This America?
The New York Times: Superbroke, Superfrugal, Superpower?

samedi 11 septembre 2010

About 9/11...

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A 8h46 le matin du 11 septembre 2001, un Boeing 767 d’American Airlines transportant 92 personnes percute la tour n° 1 du World Trade Center. Peu avant 9h CNN, puis ABC, diffusent les premières images de l’attaque. Les caméras sont donc déjà en place lorsque le second avion percute la tour n° 2 à 9h03. Les images vont rapidement faire le tour du monde et créer un sentiment de panique aux Etats-Unis. Juste avant 10h la première tour s’effondre, suivie une demi-heure environ plus tard par la seconde. Le monde entier assiste ainsi en direct au déroulement de l’attentat le plus meurtrier de l’histoire.

Neuf ans plus tard, l'anniversaire est dominé par deux grandes tendances.

La première est l'islamophobie grandissante des américains, exemplifié par le projet (avorté semble-t-il) d'un pasteur américain de brûler le coran aujourd'hui comme réaction à "l'islamisation" de l'Amérique (et au projet Park51, voir article précédent).
L'impact médiatique de ce projet n'est pas à négliger puisqu'il a pu déclencher des manifestations en Afghanistan, l'indignation des musulmans du monde entier, le choc de cette haine gratuite pour les musulmans américains, et une inquiétude des ministères de la défense ou des affaires étrangères américains.



La seconde est le scepticisme croissant quant à la version dite "officielle" sur les attentats puisque plus d’un tiers des américains pense aujourd’hui que les attentats du 11 septembre sont en partie imputables à des officiels américains, et que le but était de permettre aux Etats-Unis de s’impliquer au Moyen-Orient. Environ un américain sur six croit que le World Trade Center s’est effondré à cause d’explosifs et non à cause de l’impact des avions.

Cette popularité des théories conspirationnistes peut s'expliquer en grande partie grâce à l’instrumentalisation de la menace terroriste par l’administration Bush, instrumentalisation qui, comme l’illustre le mouvement des Tea Parties, aura durablement affaibli la relation de confiance entre les américains et leurs politiciens.

Cependant, la façon de présenter les faits des documentaires et analyses disponibles sur internet demeure troublante. La faute en incombe essentiellement aux lacunes du rapport officiel de la commission Kean-Hamilton, qui laisse inexpliqués certains éléments, et au refus des autorités de donner carte blanche à des commissions indépendantes, tel que réclamé par certaines familles de victimes. Ces lacunes, ainsi que les images, font qu'il est parfois difficile de croire qu'une poignée de fanatiques armés de cutters aient pu ainsi provoquer l'effondrement soudain de deux tours de plus de 400 mètres de hauteur.

Ce "script improbable" du 11 septembre (1), ne doit cependant pas pousser à chercher à tout prix des explications aux moindres détails. Pour Noam Chomsky, les preuves d'une implication gouvernementale dans les attentats sont "sans valeur" (worthless) et aucun spécialiste ne s'est risqué à décrire le "911 Truth Movement" comme autre chose qu'un ensemble d'illuminés poussés par des éléments uniquement circonstanciels.

Mais certaines questions ont la vie dure, surtout lorsque des troublions aussi disparates que Michael Moore, Marion Cotillard ou Mahmoud Ahmadinejad les posent. La popularité des documentaires diffusés sur internet ne se dément pas, avec des arguments et des qualités variables. Ce que cette popularité nous apprend, c'est bien la désillusion d'une vaste majorité de la population quant à l'humanité de nos dirigeants et une défiance envers le pouvoir.


Sources:
(1) Expression issue de "Qui a détourné le 11 septembre?" par le professeur Divina Frau-Meigs, enseignante à l'Université de la Sorbonne
Rue89: Le vrai et tous les faux complots du 11 Septembre
Le Monde: Les Etats-Unis n'en ont pas fini avec le 11-Septembre
Le Monde: Les Etats-Unis et le nouvel ennemi intérieur
The New York Times: A Lesson From 9/11
The New York Times: Building on Faith

Loose Change: documentaire amateur de Dylan Avery. L'un des plus populaires, mais aussi l'un des plus controversés et sans doute le moins crédible.


9/11 - Le Mythe et la Réalité, par David Ray Griffin. Professeur retraité de théologie, Griffin a l'avantage d'être un conférencier expérimenté et de tenter une approche plus scientifique, notamment en commençant par aborder l'instrumentalisation des attentats par l'administration Bush. Les éléments qu'il utilise sont presque exclusivement issus d'articles de journaux reconnus ou de documents officiels, ce qui rend ses conclusions plus difficiles à réfuter.


9/11 Mysteries par Sofia Shafquat. Un résumé des questions les plus fréquentes sur 9/11, mais saupoudré de témoignages peu probants et d'analyses peu concluantes. La présentation peu paraître convaincante, mais le documentaire a été sévèrement critiqué par d'autres membres du mouvement pour la vérité.

911 Mysteries - stfr
envoyé par pillulerouge. - L'info internationale vidéo.

"Clash of Civlizations": le retour

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Le "choc des civilisations" est cette célébrissime thèse de Samuel P. Huntington le politologue de Harvard. Huntington théorisa en 1992 que l'opposition idéologique de la Guerre Froide terminée, le monde retournerait à des conflits de nature culturelle, et tout particulièrement le conflit entre la civilisation occidentale et les pays musulmans d'Afrique et du Moyen-Orient.

La thèse d'Huntington acquit une seconde vie en 2001 avec les attentats du 11 septembre. Pour beaucoup depuis lors, le 21ème siècle doit être marqué par une opposition radicale entre occidentaux et islamistes.

Depuis l'élection d'Obama en 2008 ce fameux "choc" semble globalement avoir été évité. L'élection d'un président noir, défenseur de la liberté de culte et des minorités, semblait avoir écarté les Etats-Unis d'une trajectoire conflictuelle avec les pays musulmans. Mais l'affaire du projet "Park51", plus connu sous le nom de "ground zero mosque", montre que le choc est peut-être déjà une réalité.

Depuis déjà plusieurs semaines, Obama se débat avec un projet de construction d'un immense centre communautaire islamique à deux pâtés de maisons de "Ground Zero", le site du World Trade Center. Opposé d'abord par le groupe Stop Islamization of America, le projet a provoqué de violentes réactions aux Etats-Unis et montré que la tolérance religieuse n'est pas encore acquise pour tous les américains.

Obama a officiellement défendu le droit des musulmans à construire la mosquée (ce qui ne revient pas forcément à défendre le projet lui-même), mais cette position semble impopulaire auprès d'une majorité des américains selon les sondages effectués. Il a également affirmé qu':
"Il est d'une importance cruciale que la majorité écrasante des Américains demeure fidèle à ce qu'il y a de meilleur en nous : une croyance en la tolérance religieuse, une idée claire de l'identité de nos ennemis"



Plusieurs leaders républicains ont cherché à prendre la tête de l'opposition tels que Sarah Palin, qui a présenté le projet comme un "poignard dans le coeur" pour les familles des victimes des attentats, ou Newt Gingrish pour qui cela équivaut à "peindre une swastika sur le musée de l'holocauste" (à l'évidence, Gingrish confond Swastika et croix gammée). La palme du pire commentaire revient cependant à Dick Morris, un ancien conseiller de Bill Clinton, pour qui ce centre "serait, comme beaucoup de mosquées à travers le pays, un centre de recrutement, d'endoctrinement et d'entraînement pour terroristes". Une vidéo circulant sur internet décrit ce projet comme une "monument à la victoire des terroristes" et une "invitation à la guerre".



Selon le New York Times, les chiffres sont ambigus car même les partisans de la mosquée semblent approuver une certaine distance avec ground zero.
Cette affaire reflète la division des américains entre deux traditions: d'une part la liberté de culte inscrite dans la Constitution, d'autre part la culture protestante des Etats-Unis. Pour certains américains les Etats-Unis sont une "terre chrétienne", pour d'autres ils sont une "terre de liberté".
Dommage que les deux ne soient pas toujours compatibles...

Sources:
The New York Times: Taking Bin Laden's Side
Le Figaro: Un projet de mosquée à Ground Zero divise l'Amérique
Le Monde: A la veille de la commémoration du 11-Septembre, Obama défend la tolérance religieuse
Le Monde: "Davantage d'Américains ont une vue défavorable de l'islam depuis 2002"
Le Monde: Manifestations à New York autour de la mosquée de Ground Zero
The Onion (magazine humoristique): Man Already Knows Everything He Needs To Know About Muslims

Noam Chomsky critiquant la thèse de Huntington:

samedi 4 septembre 2010

Un peu de musique...

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Parfois les émissions de télé réalité ont des dommages collatéraux curieux. Ainsi, une candidate malheureuse à American Idol (une sorte de "nouvelle star") s'est faite la chanteuse attitrée du mouvement "Tea Party" (voir l'article sur le sujet).

Cette mère de trois enfants se présente comme une "épouse, mère, patriote et croyante dévouée" sur son site.

Les paroles:
[Verse one]
Pay no attention to the people in the street
Crying out for accountability
Make a joke of what we believe
Say we don’t matter ’cause you disagree
Pretend you’re kings, sit on your throne
Look down your nose at the peasants below
I’ve got some news, we’re taking names
We’re waiting now for the judgment day

[Chorus]
I am America, one voice, united we stand
I am America, one hope to heal our land

There is still work that must be done
I will not rest until we’ve won

I am America

[Verse Two]
You preach your tolerance, but lecture me
Is there no end to your own hypocrisy
Your god is power, you have no shame
Your only interest is political gain
On LYBIO.net you can find - The Largest community of social networking with text-script-video blogging service. http://www.lybio.net

You hide your eyes and refuse to listen
You play your games and abuse the system
You stuff your pockets while Rome is burning
I’ve got a feeling that the tide is turning

[Chorus]
I am America, one voice, united we stand
I am America, one hope to heal our land

I will not give up on this fight
I will not fade into the light, I am America

[Bridge]
You stuff your pockets while Rome is burning
I’ve got a feeling that the tide is turning

[Chorus]
I am America, one voice, united we stand
I am America, one hope to heal our land

[Chorus]
I am America, one voice, united we stand
I am America, one hope to heal our land

I will not give up on this fight
I will not fade into the night, I am America



Sources:
Le Monde: Les Tea Parties ou les révoltés du county

"We, the people..."

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"Long overdue" cette rapide explication de texte sur le choix du nom du blog et l'ironie qu'il traduit.

"We, the people" sont les trois premiers mots de la Constitution américaine. Pour les américains, ces mots sont le symbole d'une "expérience": la première nation gouvernée par ses citoyens, et l'incarnation d'une idéologie universaliste.
We the People of the United States, in Order to form a more perfect Union, establish Justice, insure domestic Tranquility, provide for the common defence, promote the general Welfare, and secure the Blessings of Liberty to ourselves and our Posterity, do ordain and establish this Constitution for the United States of America.

On oublie facilement, conveniently, que la révolution américaine précède la révolution française par plus de deux décennies. Si la Constitution américaine s'inspire bien de philosophes français (essentiellement Montesquieu -pour la séparation des pouvoirs), elle est donc bien la première révolte populaire destinée à abolir une monarchie et le point de départ d'une démocratisation politique destinée à devenir universelle. Pour les américains, 1776 (1787 pour la Constitution) est synonyme de liberté et d'humanisme puisque pour la première fois dans l'Histoire, les individus vont être considérés "égaux" par un gouvernement.
Rappelons les premiers mots de la déclaration d'indépendance:
We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness.

Cette vision de la "révolution" américaine est au coeur de l'exceptionnalisme américain, les Etats-Unis étant une nation guidée par Dieu, destinée à devenir une nouvelle Jérusalem, "a city upon a hill" observée par tous. Le mythe de la nation "unique", seule capable de répandre la liberté à travers le monde continue encore aujourd'hui pour justifier la suprématie américaine, qu'elle soit économique ou militaire.

Derrière le mythe cependant, une réalité historique quelque peu différente...

Tout d'abord le mythe de la "révolution". Si les impôts exigés par la couronne britannique, tels que le Stamp Act de 1765 ou le Tea Act de 1773, sont effectivement très impopulaires dans les colonies américaines, ils ne suffisent pas par eux-mêmes à déclencher un mouvement séparatiste. Loin d'être une réaction populaire, le Boston Tea Party de 1773 est une opération bien organisée menée par une minorité. La plupart des colons réclament avant tout d'être représentés au parlement britannique "no taxation without representation", et c'est la réaction de la couronne au mécontentement américain (les Intolerable Acts) qui permet aux extrémistes de plaider avec succès pour l'indépendance. Pour autant, c'est une bien faible partie de la population qui sera prête à prendre les armes et la campagne militaire doit en grande partie son succès aux aides française, espagnole et hollandaise.

Le second aspect du mythe concerne les "pères fondateurs" rédacteurs de la constitution. Cette "assemblée de demi-dieux" selon Thomas Jefferson est loin d'être représentative ou même légitime. Réunie essentiellement par la volonté d'Alexander Hamilton sans pour autant avoir vocation à écrire une nouvelle constitution (il s'agissait en fait de réviser les articles de la confédération), elle est constituée presque exclusivement d'hommes blancs aussi aisés qu'éduqués (George Washington est le plus riche propriétaire terrien du pays), et l'historien marxiste Charles Beard, dans An Economic Interpretation of the Constitution of the United States les accusera d'avoir essentiellement oeuvré à protéger leurs intérêts privés des excès potentiels de la majorité.

Thurgood Marshall, le premier noir à siéger à la cour suprême décrira la constitution comme incomplète à l'origine ("defective from the start") car oubliant tant les noirs que les femmes. De fait, We, the people... n'inclut alors que les propriétaires terriens mâles blancs d'au moins une vingtaine d'années, ce qui exclut une large majorité de la population (moins de la moitié des hommes blancs sont alors autorisés à voter). Il faudra attendre environ 1840 pour que le suffrage universel masculin blanc devienne la norme. Les noirs n'obtiendront le droit de vote qu'après la guerre de sécession, et les femmes en 1920.

Enfin, du point de vue de la philosophie politique, les plus illustres des pères fondateurs ne souhaitent absolument pas instaurer une démocratie. Pour Hamilton notamment le peuple est une "bête sauvage". Dans les Federalist Papers destinés à expliquer la Constitution, Madison et Hamilton expliqueront notamment que les représentants élus sont plus à même de gouverner que le peuple lui-même (1), et que de manière générale la démocratie est dangereuse pour les individus et leur droit à la propriété (2). De manière générale, les deux hommes sans qui la Constitution n'aurait jamais été écrite sont plutôt conservateurs et soulignent l'importance du droit à la propriété dans les conflits humains (3).

Citations du Federalist n°10:
(1) it may well happen that the public voice, pronounced by the representatives of the people, will be more consonant to the public good than if pronounced by the people themselves
(2) democracies have ever been found incompatible with personal security or the rights of property
(3) the most common and durable source of factions has been the various and unequal distribution of property. Those who hold and those who are without property have ever formed distinct interests in society

The mother of all problems (?)

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Et si un même problème se trouvait au coeur de la plupart des problématiques actuelles? S'il était possible de lier certains des plus grands troubles de l'époque, qu'ils soient économiques, politiques ou sociaux?

Plusieurs analyses de la récente crise économique ont souligné que la nature profonde du problème ne se trouvait pas dans les complexités financières, mais tout simplement dans la structure de l'économie et les inégalités croissantes de revenus.

Le phénomène est suffisamment simple pour que n'importe qui, même sans maîtriser le moindre concept économique, puisse comprendre.
Depuis environ un siècle, les pays développés se sont orientés vers ce qu'on a surnommé "la société de consommation", autrement dit, une production accrue de produits non essentiels, supposément traduite par une augmentation du "niveau de vie" ou du "confort individuel".
Cette augmentation de la production a eu deux effets. Le premier a été de nécessiter plus de main d'oeuvre. Le second d'augmenter la quantité de biens matériels à acquérir pour atteindre un niveau de vie dit "satisfaisant".

La quête du profit maximum a cependant empêché que l'augmentation de la production s'accompagne d'une augmentation exactement proportionnelle du pouvoir d'achat. Cette quête du profit, à l'origine des délocalisations ou des baisses de qualité des produits, a été décrite comme partie intégrante (et faiblesse inhérente) du capitalisme par... Karl Marx.

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Or, si le marxisme est un gros mot pour certains, cette théorie s'est avérée complètement fondée depuis déjà de nombreuses décennies. Au moins depuis la fin des "trente glorieuses", la proportion de pouvoir d'achat réel des classes moyennes et défavorisées n'a cessé de baisser. Si cette baisse est demeurée peu remarquée c'est grâce à la banalisation de prêts importants accordés par les banques.

En apparence, l'emprunt participe directement à la croissance. Par cette création monétaire il permet de développer l'économie, d'enrichir tant le créancier que le débiteur.
En pratique cependant, cet enrichissement est hélas illusoire. Pour commencer il maintient artificiellement des coûts élevés pour des produits non essentiels ; autrement dit, il soutient une économie de consommation forcée qui mène au gaspillage ; des ressources considérables sont englouties dans la production de gadgets, d'améliorations superflues, voir de renouvellement de produits déjà largement satisfaisants. En parallèle, les produits véritablement essentiels voient leur valeur augmenter de manière proportionnelle à l'importance des emprunts concédés. C'est bien sûr le mécanisme qui créé les bulles, qu'elles soient (par exemple) dans le secteur immobilier ou alimentaire.
Plus grave encore est la façon perverse dont l'endettement appauvrit le débiteur. Supposé permettre la consommation, l'endettement excessif a en fait pour conséquence d'augmenter les intérêts des emprunts jusqu'à rendre le coût de ceux-ci prohibitifs ; le remboursement devenu plus difficile, le risque de faillite personnelle augmente, en particulier si la sécurité de l'emploi n'est pas garantie. Le créancier devient alors le seul réel bénéficiaire puisque la création monétaire ne lui coûte rien *!* Le débiteur en revanche profite d'une richesse illusoire correspondant à un travail qu'il n'a pas encore fourni.
D'un point de vue économique, on peut dire que cette création monétaire est fausse: puisque le remboursement d'un emprunt se fait sur les salaires à venir, la seule richesse vraiment créée est celle des intérêts, qui revient uniquement au créancier. La croissance économique va alors être soutenue au détriment de la majorité de la population et au bénéfice des banques.

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Exagération? Non, le phénomène est désormais officiellement reconnu. Pour beaucoup cependant, ses avantages sont plus importants que ses inconvénients puisque justement l'emprunt (et la création monétaire qui l'accompagne) sont les moteurs de la croissance, et donc du développement d'une nation. En fait, il s'agit aussi d'une solution par défaut. En dissimulant les inégalités croissantes de revenus, le phénomène permet de sauver la face du capitalisme.

Retour à Marx. Selon Karl, le capitalisme était avant tout une accumulation de capital dans les mains d'une minorité d'industriels, au détriment de leurs employés (les prolétaires). On nous a souvent appris que Marx s'était trompé, puisqu'il avait "loupé" l'émergence des classes moyennes, et donc la réduction des inégalités. Son affirmation que le capitalisme était une entrave au progrès du fait de la concentration des richesses aurait été loin du compte.
Quelques crises financières plus tard, cette affirmation retrouve pourtant sa légitimité: si l'on considère le fonctionnement économique actuel, notre civilisation entière vit largement à crédit, et cet état de fait profite effectivement à une infime minorité. ce sont les individus, les groupes ou les nations les plus défavorisées qui créent la richesse, mais celle-ci va presque exclusivement à leurs créanciers.

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C'est couplé au libéralisme que le phénomène prend une dimension alarmante. Inspiré de l'éthique protestante, celui-ci prône une autonomie complète de chaque individu (voir article précédent). Pour pouvoir garder un niveau de vie élevé, l'individu ne peut donc que s'appuyer sur son travail, et les emprunts que celui-ci lui autorise ; la solidarité n'est plus essentielle au fonctionnement de la société.
En parallèle, la "libéralisation" de l'éducation restreint la mobilité sociale, cependant que la "libéralisation" politique donne toujours plus d'importance aux forces économiques.

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Force est d'admettre que l'inégalité demeure le problème clé de notre époque. Inégalités entre les individus, entre les nations et entre les continents. Le capitalisme, supposé apporter une "égalité d'opportunité" a continué en fait à creuser des inégalités déjà existantes. La description du phénomène va bientôt fêter ses 150 ans, mais celui-ci aura été masqué aux yeux du plus grand nombre par la dimension financière de l'économie.

Le problème est un monstre à deux têtes: la répartition équitable des richesses demeure une utopie, cependant que l'idéologie dominante semble prêcher l'autonomie et le laissez-faire.

Ironiquement, l'appauvrissement des classes moyennes comme des nations sous-développées est attribué par les économistes libéraux à l'Etat, qui freine leur enrichissement par la régulation et l'impôt.

L'Etat n'est pas nécessairement une solution aux problèmes économiques. Sa légitimité tient au fait qu'il incarne la souveraineté populaire. Cette souveraineté peut être exercée autrement, par exemple en exigeant de l'économie qu'elle cherche à réduire les inégalités et non à les creuser. La chose est possible: il "suffit" de réserver la création monétaire aux plus nécessiteux. En d'autres termes, des emprunts à 0% pour les individus et les nations les plus démunies.
[avec, bien sûr, effacement des dettes déjà existantes]

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Pour les partisans du matérialisme historique, les idéologies sont le produit des conflits sociaux et non l'inverse ; une idéologie dominante est donc le produit (ou du moins l'instrument) d'une élite dominante.

Si l'économie et la finance sont au service d'une minorité et que le libéralisme (idéologie dominante chez nos politiques) a été perverti pour accentuer le phénomène, force est de reconnaître que nous sommes tous les otages des puissants.

Sources:
The New York Times: How to End the Great Recession

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dimanche 30 mai 2010

Libéralisme (encore)

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Le libéralisme aujourd'hui semble être devenu un gros mot. Aux Etats-Unis pour sa permissivité morale, en France pour son opposition économique à l'Etat-providence. Pourtant, historiquement, c'est bien d'une forme de progrès dont il s'agit.

C'est grâce à l'avènement du protestantisme et à son éthique que le libéralisme se développe au XVIIIème siècle. En rejetant l'autorité absolue des monarques européens, il permet à la bourgeoisie et aux forces financières (ce qu'on appellerait aujourd'hui les "classes moyennes émergentes") de réclamer une partie du pouvoir politique par un processus de "démocratisation". Le pouvoir politique ainsi libéralisé doit être accessible au plus grand nombre, et une hiérarchie méritocrate doit remplacer les hiérarchies héréditaires aristocratiques.

C'est donc tout naturellement que les libéraux ne distinguent pas libéralisme économique et libéralisme politique, puisque dans les deux cas il s'agit de laisser l'individu comme seul maître de son existence, et de rejeter l'influence de l'Etat.

On pourrait s'interroger sur la place du libéralisme aujourd'hui, puisque l'Etat n'est plus aujourd'hui garanti par la nature divine du monarque, mais est supposé incarner la volonté souveraine du peuple par la démocratie représentative. C'est que, de nos jours, la doctrine libérale poussée au terme de son raisonnement propose de placer l'individu au coeur de la société.

En apparence, il est difficile de voir en quoi une responsabilisation accrue de l'individu peut être nuisible à la société. Mais cette responsabilisation de chacun vis-à-vis de lui-même provoque chez la majorité des individus une diminution de la responsabilité vis-à-vis de tous ; en d'autres termes, peu nombreux sont ceux capables d'assumer leur propre existence tout en assumant des devoirs vis-à-vis de la société au sens large du terme ; en fait, des communautés ou des groupes limités tendent à se substituer à la société dans l'inconscient collectif, jusqu'à fragmenter le tissu social. Du communautarisme à l'associatif, en passant par le caritatif ou les collectifs, les relations humaines (au sens large du terme) tendent à se décentraliser et se localiser.

Le fonctionnement est à la fois simple et tortueux. Puisque c'est à l'individu d'assurer sa survie par ses propres moyens et non plus à la société de garantir une égalité ou une justice entre les hommes, il en résulte que l'individu possède également des devoirs considérablement réduits envers la société.

Deux observations en apparence contradictoire sont ici possibles:
- Le libéralisme, en prônant une libération totale de l'individu vis-à-vis de la société, permet de facto à celui capable de s'assumer, d'agir sans contraintes, et donc en théorie d'atteindre l'insouciance -souvent synonyme de bonheur dans l'inconscient collectif.
- Le libéralisme, en prônant une autonomie complète de chaque individu, expose les plus faibles à lutter pour leur survie, et de manière générale peut engendrer des tragédies terribles sur le plan humain.
[parenthèse: on voit ici comment le libéralisme rend bien concrète le dicton que "le bonheur des uns fait le malheur des autres"]

En fait, si l'individu se libère de l'Etat, il est en revanche impossible de penser un individualisme total. Si l'Etat ne représente plus le groupe, alors celui-ci doit être représenté par la communauté ou la famille. L'individu libéré de la société doit donc se reposer d'autant plus sur ses proches pour l'aider dans son parcours ; l'insouciance est donc relative, et les aliénations liées aux devoirs envers la société sont remplacés par des aliénations plus intenses au niveau familial ou communautaire, le fameux "dilemme du porc-épic".

La question se pose en revanche pour les problèmes à grande échelle auxquels l'humanité peut être confrontée. La démocratie libérale prétend dans ce cas laisser(-faire) les forces économiques, la nation, ou les groupes de nations aux mains d'une élite éclairée capable de guider le peuple "mieux qu'il ne se guiderait lui-même". Le principe représentatif combiné au libéralisme économique permettent donc de laisser la majorité dans une insouciance relative vis-à-vis des affaires publiques de la société.
Parallèlement, la mondialisation signifie bien sûr que ces affaires publiques gardent un impact considérable et souvent sous-estimé sur la vie de chacun.

On voit donc comment le libéralisme ne trouve que peu d'intérêt à l'éducation des peuples au-delà de la formation professionnelle de la population active, puisque la participation individuelle au politique peut être limitée. Education et culture sont alors du ressort individuel et non collectif, ce qui conduit à une accentuation des inégalités comme du déterminisme social.

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Le libéralisme d'aujourd'hui engendre quantité de paradoxes. Au tout premier plan, il brouille les divisions politiques. Traditionnellement la gauche prône un libéralisme moral, tandis que la droite prône un libéralisme économique et/ou politique. Mais l'adhésion (officielle ou non) de nombreux cadres politiques de gauches à l'orthodoxie économique libérale (par Hayek, Friedman...) efface les repères pour les populations, jusque dans la définition du terme: rappelons pour la énième fois qu'un "liberal" est "de gauche" aux Etats-Unis tandis qu'un "libéral" est "de droite" en France.
[parenthèse: il suffit de s'interroger sur les étiquettes "droite/gauche" qu'on peut attribuer à des politiciens tels que Tony Blair, Barack Obama ou Ségolène Royal pour voir que les paradigmes politiques ont considérablement évolué]

Si ces confusions persistent, c'est avec une certaine complicité des classes politiques et notamment des "gauches" qui, rejetant le socialisme depuis la fin de la Guerre Froide, se refusent à admettre une adhésion réticente à l'économie libérale faute d'alternatives crédibles pour les électeurs. Non que les alternatives manquent, mais les populariser auprès des populations paraît difficile: on voit comment Obama, après une campagne prêchant le changement, peine à imposer une forme considérablement allégée de l'Etat-providence auprès des Américains, en dépit du progrès que cela représente.

Ces confusions sont pourtant dangereuses car tant que les politiques ne prennent pas clairement position sur des principes aussi fondamentaux, elles affaiblissent la légitimité de la démocratie représentative et des politiques en général. Paradoxe des paradoxes: les élites politiques et économiques des grandes puissances occidentales sont complètement acquises au dogme libéral, alors même que les populations montrent souvent de la défiance face au mot lui-même.

Personne au 21ème siècle ne peut être véritablement anti-libéral. On ne peut revenir sur la démocratisation politique et économique effectuée depuis plusieurs siècles ; mais reconnaître le progrès qu'a représenté le libéralisme ne signifie pas être incapable de faire preuve de lucidité face à certains effets négatifs. La participation et la conscience politiques sont encore des devoirs pour les citoyens et donc, pour reprendre un axiome de philosophie politique bien connu "les moyens doivent être proportionnels aux objectifs".
L'éducation, et tout particulièrement l'éducation civique et politique ne peut être libéralisée puisqu'elle est la condition préalable sine qua non de la libéralisation politique (*!*) ; la poursuite du libéralisme politique doit amener une participation politique plus importante des citoyens ; la libéralisation économique n'a de sens que si elle diminue l'aliénation des individus liée aux impératifs économiques.

Le libéralisme, pour ses pères fondateurs, n'a jamais été le remplacement d'un pouvoir par un autre. Il ne devrait pas l'être pour les humains de ce nouveau siècle. Une société souhaitant continuer à progresser ne peut faire l'économie d'une définition complexe du principe politique le plus fondamental, de ses courants et de ses paradoxes.

dimanche 23 mai 2010

C'est la crise!

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La crise de l'euro aura donc raison de l'état-providence en Europe. Cette information est plus ou moins au coeur de cet article du New York Times, et cadre tout à fait avec la récente (et "surréaliste") proposition de Nicolas Sarkozy d'inscrire la réduction des déficits dans la constitution française.

C'est presque exactement le scénario déjà évoqué sur ce blog quelques mois plus tôt: la crise va à présent permettre de "réformer" en profondeur, autrement dit, de mettre en place des réformes néo-libérales. Au menu: l'âge de la retraite, la sécurité sociale, mais de manière générale l'ensemble des aides sociales, du RSA aux APL, en passant par les bourses étudiantes ou la fonction publique. L'austérité sera donc de rigueur, alors même que des économistes comme Joseph Stiglitz ou Paul Krugman dénoncent le dogme libéral comme fallacieux.

Le déficit aura-t-il vraiment raison du modèle européen? Cela paraît aujourd'hui probable, tant l'offensive médiatique sur la crise et les déficits aura mené les populations à la résignation. L'ironie suprême étant que les déficits seront toujours in fine des abstractions en comparaison des effets de la rigueur budgétaire. La dette publique est indissociable de l'état moderne et de la civilisation, puisqu'elle finance largement les mesures progressistes et humanistes des nations. En cherchant à la réduire drastiquement, l'Europe court le risque d'un retour en arrière considérable.


Sources:
The New York Times: Payback Time
Le Monde: Modifier la Constitution pour encadrer le déficit public : l'opposition dénonce une proposition "surréaliste"
Le Monde: Joseph Stiglitz : "L'austérité mène au désastre"

lundi 17 mai 2010

La stratégie du choc

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« La Stratégie du choc » est une thèse de la journaliste altermondialiste Naomi Klein. L’idée principale de son livre est simple : les politiciens profitent de la stupeur provoquée par les crises importantes pour avancer un agenda de réformes néo-libérales.
Si cet argument de Klein peut paraître réducteur, c’est parce qu’une telle stratégie n’a pas besoin d’être consciente : Noam Chomsky, tout en insistant sur la façon dont l’attention médiatique peut être détournée et manipulée, a toujours souligné qu’il fallait éviter de voir un projet organisé des élites mais plutôt un ensemble de confluences d’intérêt poussant dans la même direction.
De ce point de vue, les exemples ne manquent pas. Toute crise est utilisable, ou, pour reprendre la citation de l’économiste libéral Milton Friedman « Seule une crise, qu’elle soit bien réelle ou seulement une construction, peut produire de réels changements ». Les périodes de guerre ou de conflit provoquent toujours une compression des libertés individuelles et un pouvoir accru des garants de l’autorité, des forces de l’ordre au pouvoir exécutif, en passant par les services secrets et les institutions économiques. Les suites aux attentats du 11 septembre 2001 l’illustrent de manière flagrante, mais tout conflit, depuis au moins le XVIIIème siècle, est prétexte à un renforcement des pouvoirs établis. Alexander Hamilton l’écrivait déjà en 1787 : la guerre augmente considérablement le pouvoir exécutif (Abraham Lincoln aura d’ailleurs la même remarque moins d’un siècle plus tard). Semblablement les crises économiques les plus sévères ont toujours augmenté le pouvoir du gouvernement de manière générale. Toute menace à sa survie conduit l’individu lambda à se chercher un pouvoir auquel s’en remettre.
La nouveauté de cette époque se trouve dans le pouvoir des médias de provoquer une crise, ou plutôt d’en construire une par des gros titres et des images sensationnels. A travers les catastrophes naturelles, les crises économiques ou les simples débats de société, les médias ont acquis une capacité très visible à orienter l’attention de la population. Lorsqu’il y a collusion entre l’Etat, les forces économiques principales, et les médias, on peut raisonnablement craindre pour la démocratie.
Dans quelle mesure les crises sont-elles consciemment préparées pour être utilisées dans des buts précis ? Klein dit bien qu’il s’agit plus d’opportunisme que de construction planifiée, en d’autres termes, d’une tactique politicienne pour contourner la souveraineté du peuple. Mais dans le New York Times du jour, le journaliste conservateur (*!*) Ross Douthat nous rappelle que les changements politiques et économiques apportés en temps de crise ont tendance à rester. A l’inverse, les évolutions démocratiques et progressistes exigent une réelle volonté populaire et sont vulnérables à la stratégie du choc.

vendredi 9 avril 2010

When apparence matters...

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Pourquoi tant d'encre pour des réductions d'armes nucléaires qui, pour l'opinion publique, vont généralement de soi? Les arsenaux russes et américains sont de l'avis général remplis d'armes d'un autre temps, dangereuses et dépassées à la fois.

C'est que l'arme nucléaire, par nature, possède une dimension psychologique presque aussi importante que l'arme elle-même. La dissuasion ne repose pas seulement sur la possession de la bombe, mais également sur la volonté de l'utiliser. Anecdote troublante sur le sujet: pour renforcer la dissuasion américaine, Kissinger n'avait pas hésité à décrire Nixon comme "incontrôlable" aux Soviétiques.

La seule réduction des arsenaux nucléaires montre donc une réticence à les utiliser, ce qui diminue d'autant la dissuasion, et "met l'Amérique en danger" pour les Républicains. Argument imparable.

En fait, il n'y a aucun danger réel pour les Etats-Unis, qui n'ont de toutes façons pas été sérieusement menacés sur leur territoire depuis le 19ème siècle. L'administration Obama, comme toutes les autres, se réserve le droit de juger de la nécessité ou non d'utiliser l'arme atomique en cas de réel danger. Nihil nove sub sole donc. Sans oublier que le coût de maintien d'un tel arsenal n'est plus d'actualité de toutes façons, et qu'économiquement parlant, il est plus judicieux d'investir dans une modernisation des forces américaines, y compris conventionnelles, plutôt que dans une arme qui demeure -sauf pour les pires des "faucons"- un dernier recours.

Alors pourquoi autant d'encre? Parce que le message envoyé, sans être véritablement pacifiste (dans l'absolu, il est loin d'exclure les frappes nucléaires), est en effet différent.
Tant que les Etats-Unis s'autorisent à user de l'arme atomique en toutes situations, leurs ennemis sont de facto sous la menace d'un bombardement nucléaire, et ce à tout moment, pour le moindre prétexte. Si cette position est éliminée, alors les Etats-Unis sont dans une posture essentiellement défensive. Comme cela a été souligné dans le New York Times, cette stratégie fut initiée autrement par un Républicain, le général Eisenhower, qui tout en étant patriote, ne voyait pas l'impérialisme militaire d'un bon oeil.

Le fait d'être sur la défensive modifie en effet une donne importante du jeu géostratégique mondial: il implique de ne pas poursuivre l'hégémonie par la voie des armes, ou tout du moins, pas par la terreur. Par contraste, dans une perspective Républicaine, les Etats-Unis doivent imposer leur idéologie et leurs valeurs au monde: c'est leur destin et leur devoir, et ils ne peuvent s'y soustraire.

Obama semble prêt à les y soustraire au contraire, au moins en apparence si pas dans les faits. Et si les apparences comptent, cela valait peut-être un prix Nobel finalement...

Sources:
The New York Times: Obama’s Nuclear Strategy Intended as a Message
The New York Times: Mr. Obama’s Nuclear Policy
The New York Times: Obama’s Nuclear Modesty
The New York Times: Just Like Ike (on Deterrence)
The New York Times: Obama Limits When U.S. Would Use Nuclear Arms

dimanche 7 mars 2010

La montée de l'extrémisme américain

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Depuis l'élection de Barack Obama à la présidence américaine, l'extrême-droite américaine n'a cessé de gagner en puissance. Rien d'étonnant à cela, le racisme et la suspicion envers le gouvernement fédéral allant souvent de pair pour décrier l'administration Obama. Petite analyse de l'extrême-droite...

Les forces en mouvement sont plus complexes qu'il n'y paraît. A la source de cet extrémisme, un principe philosophique et politique adopté dés 1787 par les pères fondateurs: le peuple ne saurait avoir de pouvoir que par une démocratie représentative formant un gouvernement fédéral à Washington. Madison et Hamilton notamment (dans les "Federalist Papers") rejettent la démocratie "directe" et excluent que le peuple puisse gérer les affaires de la nation, préférant l'élection de dirigeants plus éduqués acquis à la cause de l'intérêt général.

Depuis le 18ème siècle, les "anti-fédéralistes" n'ont cessé de contesté ce principe, arguant que la seule réelle démocratie est celle du peuple, et que le gouvernement fédéral ne peut exercer qu'un pouvoir arbitraire. En somme, il s'agit là d'un anarchisme opposé par principe à tout pouvoir central, et plaidant pour une démocratie plus participative.

Les bases philosophiques du mouvement sont donc solides, d'autant que l'anti-fédéralisme a toujours eu pignon sur rue dans le parti Républicain, qui prône la "dérégulation", autrement dit moins de contrôle et d'agences fédérales, moins de services publics et donc moins d'impôts. Ronald Reagan était, paradoxalement peut-être, un anarchiste dans les faits, si pas dans l'esprit.

Mais le mouvement s'ancre en revanche dans un conservatisme moral et religieux qui dépasse la simple intolérance et devient bien plus qu'une incitation à la haine. En décriant le gouvernement fédéral comme non seulement arbitraire mais profondément immoral, l'extrême-droite américaine s'autorise à user de violence pour arriver à ses fins.

Il faut dire aussi que la paranoïa est forte au sein des différents groupes et organisations extrémistes ; pire encore, elle est en un sens justifiée. En défendant fortement les libertés individuelles, le mouvement se structure autour de milices fortement armées, au nom du second amendement à la constitution garantissant ce droit. Le mouvement attire ainsi la surveillance des agence fédérales (le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives ou ATF et le FBI) qui craint les dérives des militants. Il faut dire aussi que dans un contexte post-911, les milices sont souvent étiquetées comme organisations terroristes.

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De ce point de vue, le gouvernement américain est en position ambigüe, car trop de répression contre l'extrême-droite revient à justifier la paranoïa, et donc ironiquement la possession d'armes à feu pour se défendre de l'oppression.

Il y a enfin la dimension morale à souligner: dans un monde très matérialiste, dominé par des forces économiques contrôlées par une élite minoritaire, l'extrême-droite américaine fait l'amalgame entre pouvoir politique, élite intellectuelle et grandes entreprises. Pour les miliciens, il y a connivence entre les politiciens et l'élite du "nord-est" pour former un "nouvel ordre mondial" et un "gouvernement mondial unique". L'oppression sera ainsi exercée au niveau mondial au nom des intérêts financiers et au mépris des individus. Il y a la bien sûr de l'anti-fédéralisme, mais également un anti-intellectualisme propre aux membres des milices, souvent issus de classes défavorisées de la société.

Si de telles idées (souvent traitées de "conspirationnistes") vous semblent familières, c'est qu'elles sont (ironiquement) très proches de l'anarchisme de gauche (anarchisme libertaire par exemple) prôné par des intellectuels comme Noam Chomsky. "Les extrêmes se rejoignent" dit-on souvent, et en apparence cela peut sembler être le cas. Mais l'analogie s'arrête là car deux aspects de l'extrémisme américain restent à expliquer.

Le premier est le caractère raciste de la plupart des organisations, ancrés dans la tradition sudiste. Lors de la guerre de sécession, la confédération défendait tout autant l'esclavage que la résistance des Etats à Washington: l'amalgame historique est resté, et explique qu'encore aujourd'hui anti-fédéralisme et racisme vont souvent de pair.

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Le second est le caractère fortement chrétien du mouvement, mais excluant néanmoins toute tolérance. L'extrême-droite montre une forte haine envers les autres religions (anti-sémitisme et anti-islamisme sont la norme), une farouche opposition à l'avortement, et une homophobie récurrente.

L'histoire américaine contemporaine est donc marquée par des groupes religieux ou politiques lourdement armés, fortement conspirationnistes et se défiant du gouvernement de Washington, souvent déterminés à "reprendre le pouvoir" à l'élite auto-proclamée. Citons Ruby Ridge et Waco (1992, 1993), l'attentat d'Oklahoma City (1995), ou, plus récemment, l'homme ayant écrasé son avion dans un bâtiment des impôts (IRS) à Austin (18 février 2010).

Au coeur de l'extrême-droite, un principe simple: refuser de séparer les principes moraux des principes politiques et philosophiques. D'où un grand nombre d'amalgames ou de raccourcis cautionnant la violence. Les extrémistes américains, convaincus d'être dans leur bon droit politique et moral, ne voient aucune raison de ne pas défendre leurs idées par les armes.

Si on ajoute un autre amalgame de la droite américaine entre socialisme et totalitarisme (voir Du contrat social, note du 5 octobre), on comprend comment l'élection d'Obama a pu raviver la flamme de l'extrême-droite américaine.

Reste pour conclure, à rappeler que l'extrême-droite n'est pas un privilège américain. L'amalgame entre pouvoir central et pouvoir immoral est très présent en France aussi. Et si la dimension religieuse est traditionnellement moins importante dans notre pays (par le fait d'une révolution anti-cléricale), le racisme est lui bien présent, et le conservatisme qui l'accompagne plus vivace que jamais.

Sources:
The Federalist Papers & The Anti-Federalist Papers: Commentaries on the U.S. Constitution
Le Monde: L'irrésistible expansion de l'Amérique de la haine
The Washington Times: Federal agency warns of radicals on right
The New York Times: The Wal-Mart Hippies, by David Brooks
The Anti-Defamation League: The Militia Movement

lundi 1 mars 2010

UANI

Incroyable mais vraie, cette photo prise par un collègue britannique à New York.

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L'UANI s'avère être une "organisation 'non-partisane' (comprendre: ni Républicaine ni Démocrate)" dont le but est d'attirer l'attention sur la menace que pourrait poser l'Iran s'il acquérait l'arme atomique et, parallèlement, d'influencer la politique étrangère américaine.

Bien sûr, des organisations comme l'UANI ont déjà existé aux Etats-Unis, comme par exemple le Comité sur le Danger Immédiat (Committee on the Present Danger) qui dans les années 50, puis 70 cherchait à promouvoir une ligne dure vis-à-vis de l'Union Soviétique, avant de réapparaître en 2004 pour promouvoir la guerre contre le terrorisme de l'administration G.W.Bush.

L'UANI ou le CPD se disent neutres politiquement, et en un sens ils le sont, car la perception d'une "menace extérieure" transcende effectivement les lignes de partis politiques. Pour autant, une telle perception repose sur une vision large des intérêts américains qui encourage, ou du moins cautionne, l'impérialisme et la suprématie américains.

http://www.unitedagainstnucleariran.com

vendredi 29 janvier 2010

Requiem for a giant

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Le dernier d'une longue série de personnages célèbres, Howard Zinn est décédé mercredi dernier, le 27 janvier 2010. Loin de la célébrité d'un Michael Jackson ou de la fascination exercée par J.D. Salinger, Zinn était bien plus proche d'un Claude Lévi-Strauss: un chercheur ayant bouleversé son domaine d'études, oeuvrant sans relâche pour l'ouverture d'esprit et l'humanisme.

Zinn restera connu comme l'auteur de la célèbre "Histoire Populaire des Etats-Unis", une révolution pour les historiens Américains trop souvent habités par la fascination des figures historiques et la caution implicite apportée au "récit" (narrative) dominant.

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En écrivant son "Histoire Populaire", Zinn avait en effet prit à contrepied la plupart des historiens en racontant l'histoire des Etats-Unis du point de vue des opprimés, des laissés pour compte, et des victimes en tout genre de l'Histoire. La conquête de l'ouest du point de vue des indiens, la révolution industrielle du point de vue des ouvriers et des syndicalistes, ou encore la Guerre Froide pour l'américain moyen ne sont que quelques chapitres d'un immense ouvrage constamment remis à jour, appuyé par un impressionnant travail de recherche.

Ainsi, puisque le choix de certains événements et l'importance qui leur est accordée signalent inévitablement le parti pris de l'historien, je préfère tenter de dire l'histoire de la découverte de l'Amérique du point de vue des Arawaks, l'histoire de la Constitution du point de vue des esclaves, celle d'Andrew Jackson vue par les Cherokees, la guerre de Sécession par les Irlandais de New-York, celle contre le Mexique par les déserteurs de l'armée de Scott, l'essor industriel à travers le regard d'une jeune femme des ateliers textiles de Lowell, la guerre hispano-américaine à travers celui des Cubains, la conquête des Philippines telle qu'en témoignent les soldats noirs de Luson, l'Âge d'or par les fermiers du Sud, la Première Guerre mondiale par les socialistes et la suivante par les pacifistes, le New Deal par les Noirs de Harlem, l'impérialisme américain de l'après-guerre par les péons d'Amérique latine, etc.

Par le travail de sa vie, Zinn a montré que l'histoire demeure encore et toujours écrite, non seulement par les vainqueurs, mais aussi par les classes dominantes, l'élite et l'intelligentsia, au détriment des classes populaires et des minorités, que le récit historique doit être invariablement pris avec une distance critique, que l'Histoire elle-même est un instrument utilisé pour justifier les politiques du pouvoir et de l'argent et inciter le citoyen lambda à s'en remettre à ses "leaders" plutôt que de chercher à instaurer une société juste.

Tous ces livres d'histoire américaine qui se focalisent sur les Pères Fondateurs et sur les présidents successifs pèsent lourdement sur la capacité d'action du citoyen ordinaire. Ils suggèrent qu'en temps de crise il nous faut chercher un sauveur : les Pères Fondateurs pour la Révolution, Lincoln pour la sortie de l'esclavage, Roosevelt pour la Grande Dépression, Carter pour la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate. En revanche, entre les crises, tout va pour le mieux et il faut nous contenter du retour à la normale.

Lieutenant dans l'Air Force, Zinn participa à la seconde guerre mondiale par conviction anti-fasciste. Mais il fut marqué par le bombardement inutile de Royan en avril 1945 sur des militaires allemands en déroute et des civils français. A son retour aux Etats-Unis il consacra toute sa vie et son oeuvre au pacifisme et à la tolérance.

Historien et professeur engagé, ouvertement marxiste voir anarchiste, Zinn participa au mouvement des droits civiques, n'hésitant pas à mettre sa carrière en jeu pour la défense de l'égalité raciale. Il s'engagea en profondeur contre la guerre du Vietnam, négociant la libération d'aviateurs américains avec les vietcongs ou encore comme témoin de la défense au procès de Daniel Ellsberg, qui avait révélé les fameux Pentagon Papers. Il s'opposa pareillement à l'attaque et à l'invasion de l'Irak en 2003. Durant toute sa vie il dénonça sans relâche l'expansionnisme américain et fut proche, intellectuellement surtout mais aussi parfois personnellement, de Noam Chomsky, allant jusqu'à définir l'idéologie américaine dans "Nous, le peuple des Etats-Unis... " comme un mélange d'impérialisme, d'individualisme et d'indifférence à la souffrance humaine. Dans son autobiographie "You can't be neutral on a moving train", publiée en 1994, il retraça le parcours d'un homme déterminé à lutter pour ses semblables.

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Zinn restera comme l'un des plus grands historiens dits "sociaux". Son "Histoire Populaire" a été vendue à plus d'un 1.7 million d'exemplaires, et reste un ouvrage recommandé pour tous les étudiants de l'histoire américaine. Plus qu'un professionnel cependant, il est aussi un modèle pour tous ceux qui, par leur recherche, cherchent à faire avancer la cause de l'humanisme. Son immense oeuvre lui survivra.


Un hommage de Bob Herbert (The New York Times): A Radical Treasure